Billet

Le joyeux Noël de Najat Vallaud-Belkacem

par Laurent Joffrin, Directeur de la publication de Libération
publié le 23 décembre 2016 à 12h54

La polémique lancée sur Twitter contre Najat Vallaud-Bekacem à propos des fêtes de fin d’année, Noël et le jour de l’An, a quelque chose de grotesque. Mais elle traduit aussi l’obsession identitaire qui anime une partie de l’opinion et qui ne laisse pas d’inquiéter les esprits raisonnables sur la santé mentale du pays.

On connaît l’objet du délit : un tweet de la ministre de l’Education nationale souhaitant de «belles fêtes» aux Français en lieu et place du «Joyeux Noël» à connotation chrétienne, paraît-il plus conforme aux vraies traditions françaises. Les procureurs de la ministre oublient bien sûr de préciser que le tweet sacrilège était accompagné d’un émoticone représentant un sapin de Noël et d’un gif montrant des chatons coiffés d’un bonnet rouge et blanc de Père Noël. Ce qui tend à montrer qu’il n’y a pas, dans le message convivial de la ministre, de volonté d’éradiquer toute référence à cette fête traditionnelle. En souhaitant de «belles fêtes», elle englobait simplement Noël et le Jour de l’An. Quelle affaire… Et si l’on se rend sur le site officiel du ministère, on constatera que les vacances de la fin d’année sont toujours appelées «vacances de Noël» et celle d’automne «vacances de la Toussaint » dans le calendrier des congés scolaires, ce qui ne correspond pas à la fureur «laïciste» ou athée prêtée à l’Education nationale…

L’attaque contre Najat Vallaud-Belkacem, il faut le craindre, traduit surtout une forme de racisme ou d’islamophobie. On accuse la ministre, en raison de ses origines, de vouloir effacer dans la conscience collective toute allusion aux «racines chrétiennes» du pays, sans doute dans le cadre du «grand remplacement» (du christianisme par l’islam) dénoncé par une partie de l’extrême droite dans sa hantise fantasmatique. L’obsession de l’identité, toujours…

L'incident n'est pas seulement anecdotique. Aux Etats-Unis, l'habitude s'est installée dans certains Etats de remplacer le traditionnel «Merry Christmas» par des formules dépouillées de toute connotation religieuse, dans le souci de placer à égalité les différentes religions. Donald Trump en a fait un thème de campagne efficace contre le «politiquement correct», ou le «religieusement correct» en se posant en défenseur des traditions américaines contre les «libéraux désincarnés» et les démocrates dopés au «sécularisme» (la version américaine de la laïcité).

Pour parler net, tout cela est un peu ridicule. Si l’on remonte dans l’histoire, on s’aperçoit que la fête de Noël ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. A l’origine, elle n’est pas chrétienne. C’est l’empire romain païen qui a créé la tradition en célébrant au moment du solstice d’hiver (le jour le plus court de l’année) une fête du soleil - «sol invictus» - quand les journées commencent à rallonger, de manière à saluer le retour de la divinité solaire. Il faut attendre le quatrième siècle (plus de 300 ans après la naissance de Jésus) pour que l’Eglise décide arbitrairement de situer la naissance de Jésus le 25 décembre, alors même qu’on en ignore le jour exact, et même l’année. Comme souvent, la religion nouvelle se substitue place pour place aux anciennes dans le but de récupérer la tradition à son profit. Au fil des siècles, la commémoration religieuse s’est mélangée à des rites de diverses origines, qui en ont fait une fête familiale au symbolisme plus large que la simple nativité. L’Eglise préfère d’ailleurs Pâques à un Noël entaché de parasites profanes ou commerciaux, jugeant aussi que la résurrection du Christ est plus édifiante que sa naissance.

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Noël est fêté au Japon où les chrétiens sont très peu nombreux, ou encore dans un pays musulman comme l’Algérie, au grand dam des intégristes islamistes. Quant au Père Noël, il a été inventé aux Etats-Unis au milieu du XIXe siècle en laïcisant la figure de traditionnelle de Saint-Nicolas, protecteur des enfants, et en remplaçant sa chasuble et sa mitre par une houppelande rouge et un bonnet bordé de fourrure blanche. Autrement dit, on se bat pour pas grand-chose, sinon autour d’une tradition inoffensive qui réunit très souvent, en France en tout cas, croyants et incroyants autour d’une bûche et d’un sapin sans faire de mal à personne.

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