Se réapproprier l’espace public où elles craignent désormais de se rendre seules la nuit, et faire un pied de nez à ceux qui les terrorisent en les harcelant et en les agressant, voilà le but du mouvement lancé par le collectif indien Blank Noise. Comment ? En invitant tout simplement les femmes à sortir dans la rue le soir, seules, et à se prendre en photo pour immortaliser leur action pour encourager les autres à faire de même et faire la peau à la peur et la violence. Alors que 79 % des femmes en Inde ont déjà été victimes de violences ou de harcèlement sexuel dans la rue selon l’ONG britannique ActionAid et que le pays connaît une vague sans précédent de viols, l'initiative a beaucoup séduit et a même été plusieurs fois reconduite.
En effet, l'opération "Walk Alone" (marcher seule) avait tout d'abord été lancée du 12 au 19 juin, puis elle a été renouvelée le 25 septembre et enfin, elle a été réitéré il y a 2 semaines, le 2 décembre. Entre 21h et minuit, dans plusieurs villes du pays, des femmes sont ainsi sorties de chez elles pour se promener dans la rue et même dans des endroits où elles ne se seraient jamais risquées une fois la nuit tombée. Pour leur sécurité, elles pouvaient toutefois être accompagnée le temps de leur marche.
"Il est anormal que les femmes ne puissent pas se promener seules le soir"
Aditi Ameria, 24 ans, vient de terminer des études de droit et a pris part à cet événement à Jaipur, capitale du Rajasthan. A France 24, elle raconte qu'elle est sortie à 21h30 dans son quartier très résidentiel et plutôt calme "dans le sens où l’on n’entend jamais parler de crimes atroces ou d’enlèvements", même si l'absence total de piétons était un peu inquiétante.
"Bien sûr, cette petite marche n’a rien d’un exploit, mais cela permet d’attirer l’attention sur le fait qu’il est anormal que les femmes ne puissent pas se promener seules le soir, de peur de se faire agresser. C’est ridicule, on est quand même en 2016", s'indigne-t-elle.
"Malheureusement, ces peurs sont légitimes, poursuit la jeune femme. Le soir, on se fait régulièrement siffler et on entend souvent des commentaires graveleux, qui peuvent faire vraiment peur, comme "où vas-tu ? Viens avec nous !"" Si baisser les yeux pour les ignorer et ne pas encourager une surenchère suffit généralement le jour, la nuit, l'alcool, la drogue et la fréquentation limitée des rues enhardissent les agresseurs et rendent les femmes plus vulnérables. "Presque toutes les femmes que je connais et qui conduisent seules ont déjà été suivies par des hommes en scooter ou en voiture", témoigne Aditi.
Mais pour elle, ce ne sont pas seulement les agressions qui ont éloigné les femmes des rues la nuit. En réalité, elles n'ont jamais eu vraiment le droit d'y circuler passée une certaine heure. Dénonçant les normes sociales plus ou moins ancrées selon les Etats, elle explique qu'en cas de course nocturne, c'est toujours son frère qui a été dépêché et que cette initiative de Blank Noise lui a surtout permis d'aborder le sujet avec ses proches.
Comme Aditi, elles ont été nombreuses ce soir-là à marcher seule, prenant un selfie ou des photos de la rue pour immortaliser leur démarche et leur victoire sur la reconquête de la voie publique. Le mouvement a même pris à l'étranger où des Indiennes expatriées l'ont suivi par solidarité et parce qu'ailleurs aussi, les femmes ont besoin de rappeler leur droit.
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