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Cambodge : un mirage démocratique

Politique
Hun Sen, Premier ministre presque sans interruption depuis 1993 © Pool Interagences/Getty Images

Ravagé par le régime totalitaire des Khmers rouges (1975-1979), puis ruiné par l’occupation vietnamienne, le Cambodge a été placé, entre 1992 et 1993, sous tutelle des Nations unies afin d’amorcer sa transition démocratique. Vingt ans après, l’objectif est loin d’être atteint : entraves répétées aux droits de l’homme, oligarchie corrompue, conflits d’intérêts, et un Premier ministre omnipotent qui freine l’émergence du multipartisme… La démocratie cambodgienne, une chimère ? Entretien avec Sebastian Strangio, journaliste australien basé à Phnom Penh, auteur de Hun Sen’s Cambodia (Yale University Press, 2014, non traduit en français), une analyse en profondeur de l’histoire récente du pays.

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GEO : Dans quelle situation politique se trouve le pays aujourd’hui ?

Sebastian Strangio : Depuis la mission menée par les Nations unies, le Cambodge s’est doté d’un système politique démocratique : il a adopté une constitution libérale, et signé, plus ou moins de bonne grâce, la plupart des grands traités internationaux sur les droits de l’homme. Mais la réalité du pouvoir, elle, n’a pas évolué. Celui-ci continue de s’appuyer sur des relations étroites entre le monde des affaires et la sphère politique. La société est fortement hiérarchisée, avec une forme de clientélisme que l’on retrouve à tous les échelons. Si l’on regarde sous ce maillage de relations personnelles, on se rend compte que très peu d’institutions politiques fonctionnent correctement. La démocratie reste un mirage.

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Il y a pourtant eu des améliorations notables depuis l’époque du Kampuchéa démocratique…

Tout est relatif. Evidemment, si l’on compare le Cambodge contemporain aux époques antérieures, on peut dire que les mandats successifs de Hun Sen, Premier ministre presque sans interruption depuis 1993, ont été plutôt positifs. Mais à l’aune des standards universels, en matière de droits de l’homme notamment, le bilan est loin d’être brillant. En plus de la très forte corruption, on assiste à des violations flagrantes de la liberté d’expression et de la presse. Cette année, la mort de Kem Ley, un opposant politique abattu en pleine rue, a ainsi suscité un vif émoi parmi les Cambodgiens. Beaucoup y ont vu la marque d’un assassinat politique commandité par le régime.

Comment expliquez-vous la longévité politique de Hun Sen, qui reste l’homme fort du pays depuis un quart de siècle ?

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Contrairement à tous ceux qui ont dirigé le Cambodge avant lui, Hun Sen est né, en 1952, dans une modeste famille de paysans du Kampong Cham [région du centre du pays]. Il a connu la misère et les privations, et en a gardé cette capacité à s’adresser au peuple dans un langage qu’il est capable de comprendre, en lui parlant de la vie agricole et des caprices de la météo. Mais la principale raison de sa longévité politique, c’est son pragmatisme. Hun Sen a su composer avec le Cambodge tel qu’il était, plutôt que de mettre en avant un Cambodge rêvé. Il a su tirer parti du désir de ses concitoyens de sortir du chaos, en exagérant son rôle dans la chute des Khmers rouges, et en affirmant être le seul rempart contre un retour de la guerre et des massacres. Doté d’une idéologie flexible, Hun Sen se révèle un expert quand il s’agit de percevoir les faiblesses de ses opposants, de saisir l’opportunité décisive. C’est un maître ès manipulations politiques.

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Hun Sen se passionne pour les réseaux sociaux, et en particulier pour Facebook. Quelle stratégie se cache derrière cet enthousiasme ?

Il s’agit là d’un autre signe de sa flexibilité politique, celle-là même qui lui a permis de se maintenir au pouvoir depuis près de trois décennies. Au fil des années, Hun Sen a montré son habileté à changer de tactique rapidement afin d’améliorer ses perspectives. Il a trouvé dans Facebook un nouveau moyen de communiquer directement avec le peuple cambodgien – une technique que le parti d’opposition, le CNRP (Parti du sauvetage national cambodgien), avait déjà utilisée avec efficacité au cours des élections de 2013. C’est devenu pour Hun Sen un levier stratégique crucial pour tenter de reconquérir les votes perdus au profit de son mouvement, le CPP (Parti du peuple cambodgien). Reste à voir si cette stratégie sera gagnante ou non.

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Le roi Norodom Sihamoni peut-il peser en matière politique ?

Le Cambodge est une monarchie constitutionnelle, dans laquelle le roi n’a aucun pouvoir politique. Certes, le peuple respecte Norodom Sihamoni pour sa fonction symbolique. Mais il n’est pas aussi populaire que son père, Norodom Sihanouk. C’est en partie dû au fait que le CPP a pris le contrôle sur le roi : il maîtrise son agenda et s’assure qu’il ne peut pas établir un lien direct et intime avec le peuple. L’autre élément d’explication, c’est que Norodom Sihamoni n’a jamais réellement voulu être roi. Son rêve, c’était de devenir un artiste à Paris !

Quelle est l’influence du Cambodge sur la scène régionale ?

C’est un Etat qui joue un rôle de plus en plus important dans la région en tant qu’allié proche de la Chine. Récemment, Phnom Penh a été accusée de prendre le parti de son puissant voisin dans les questions relatives aux conflits en mer de Chine du Sud, sabordant du même coup le consensus de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) sur le sujet. Ce soutien inconditionnel envers la Chine témoigne d’un échange de bons procédés, lié aux centaines de millions de dollars de prêts et d’investissements consentis par la République populaire au cours des quinze dernières années. Pour Hun Sen, les largesses chinoises représentent également une soupape de sécurité qui permet d’évacuer la pression mise par les Occidentaux sur l’amélioration de la gouvernance et des droits de l’homme. Avec le risque de devenir le vassal de Pékin.

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Si l’opposition gagne les prochaines élections, en 2018, peut-on s’attendre à une transition pacifique ?

Tout au long de son histoire, le pays n’a jamais connu de transition paisible d’un régime à un autre. Par ailleurs, Hun Sen n’est vraiment pas le genre d’homme à accepter d’abandonner le pouvoir sans combattre, et le mot «compromis» est absent de son vocabulaire moral et mental. Passer le relais à son successeur en évitant de mettre le pays à feu et à sang, cela sera le gros challenge auquel l’indétrônable Premier ministre devra faire face dans les années à venir. Le sort du Cambodge en dépend.

DR
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>>> Retrouvez l'intégralité du dossier dans le magazine GEO n° 452 (octobre 2016)

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