Au moment des « Printemps arabes », les sites comme Facebook ou Twitter étaient loués comme étant de formidables outils de démocratisation. Ils avaient aidé à la mobilisation spontanée pour renverser des dictateurs. Aujourd’hui, ces mêmes réseaux sociaux sont accusés d’avoir contribué au Brexit, à la victoire du « non » au référendum italien, et surtout à celle de Donald Trump aux États-Unis.

Car ces réseaux sociaux sont devenus géants : Facebook compte 1,8 milliard d’abonnés. Internet est déjà la deuxième source d’information des Français, juste après la télévision (voir repères ci-dessous). Et les Français devraient pour la première fois, l’année prochaine, passer plus de temps en moyenne à consulter des médias en ligne qu’à regarder le petit écran. Pas sûr cependant que le débat démocratique y gagne…

Le point sur les reproches adressés aux réseaux sociaux et les remèdes possibles.

Le rôle des « fake news »

Les réseaux sociaux sont accusés de donner un large écho à des fausses nouvelles (ou « fake news » en anglais). Durant la campagne américaine, beaucoup ont ainsi circulé. Elles affirmaient par exemple que le pape avait appelé à voter pour Donald Trump, que Hillary Clinton couvrait un réseau de mineurs esclaves sexuels depuis une pizzeria de Washington ou bien qu’elle soutenait les Frères musulmans…

Émanant de sites de canulars (Ending the Fed), conspirationnistes (The Vigilant Citizen) ou d’extrême droite (Breitbart News), ces informations étaient fausses. Mais elles ont été vues et partagées des millions de fois. Selon une enquête du site BuzzFeed, elles ont généré au cours des trois mois précédant le scrutin davantage de trafic sur Facebook que les articles écrits par des journalistes professionnels (8,7 millions, contre 7,8 millions).

Une partie d’entre elles sont diffusées à des fins purement vénales : elles rapportent des revenus publicitaires (via Google Advice ou Facebook Ads) à ceux qui les diffusent. Pour cette raison, durant la campagne américaine, beaucoup ont été propagées depuis l’étranger, notamment depuis la Macédoine ou depuis la Géorgie, pour « faire du clic » et gagner de l’argent.

Mais beaucoup de ces fausses nouvelles sont aussi créées pour tenter de manipuler l’opinion, de susciter le doute dans les têtes des citoyens. Après la campagne contre « Ali Juppé » (voir ci-contre), durant les primaires, une autre, sur les réseaux sociaux, vise actuellement François Fillon, surnommé « Farid Fillon ».

En s’appuyant sur des photos sorties de leur contexte et de fausses informations, ces campagnes accusent les candidats de complaisance face à la dérive islamiste. Les hommes politiques restent démunis face à ces attaques anonymes.

Bon nombre sont lancées par des militants d’extrême droite. Nicolas Vanderbiest, qui étudie les communautés et les phénomènes d’influence sur Twitter à l’Université catholique de Louvain (Belgique), observait lors d’un récent colloque qu’« après chaque attentat, il y a une phase de rumeurs, puis une exploitation des tensions entre communautés par l’extrême droite ». Il constatait que « 35 % des volumes de tweets » proviennent alors de comptes proches de cette mouvance politique.

Le problème des « bulles de filtrage »

Les réseaux sociaux sont également accusés d’enfermer l’internaute dans une bulle qui déforme sa vision du monde. Facebook classe en effet les contenus. Il met en avant ceux qui sont supposés nous plaire le plus.

« Chaque utilisateur est exposé aux informations partagées par ses amis, et qui sont en résonance avec ce qu’il pense, explique Tristan Mendès France, enseignant au Celsa (École des hautes études en sciences de l’information et de la communication) et spécialiste des nouveaux usages numériques. De plus, l’algorithme de Facebook lui propose d’autres amis qui auront souvent la même vision. Enfin, si l’utilisateur s’abonne à la page d’un média, il se verra proposer d’autres contenus similaires. Cela crée une chambre d’écho qui donne crédit aux informations partagées. »

Résultat : l’utilisateur de Facebook peut avoir l’impression que le monde entier est du même avis que lui. Il croit participer à un vaste forum où toutes les opinions sont représentées, mais il est en réalité essentiellement en présence de contenus « filtrés », qui le renforcent dans ses certitudes, voire le poussent à se radicaliser.

« Les réseaux sociaux accentuent l’effet de bulle dans laquelle chacun à tendance à se retrouver », explique Tristan Mendès France. Enfermé dans cet univers en résonance avec les idées auxquelles il croit, l’utilisateur n’est ainsi plus confronté aux opinions contraires, pourtant nécessaires au débat. Or les réseaux sociaux sont de plus en plus souvent la porte d’entrée par laquelle les internautes passent pour circuler sur l’Internet.

Des réponses encore timides

Sévèrement attaqués par la presse américaine, Facebook et Google ont d’abord nié ces phénomènes, avant de réagir. Début décembre, ces deux sites qui sont les plus influents ont annoncé qu’ils vont interdire à tous ceux qui produisent de fausses nouvelles de percevoir des revenus publicitaires.

Puis Facebook a annoncé qu’il va tester un nouveau dispositif permettant de signaler une information fausse. Le contenu litigieux sera accompagné d’un triangle rouge renvoyant à la mention « contesté par des vérificateurs indépendants ». De son côté, Google revoit son algorithme pour écarter les informations qui « ne font pas autorité ».

Ces aménagements sont une bonne chose, mais il y a peu de chances qu’ils soient suffisants. Il sera facile, en effet, de détourner le système pour signaler des informations vraies comme étant « contestées », pour continuer à brouiller la perception des internautes.

« Ces plateformes savent faire des propositions intelligentes pour défendre leur modèle économique, mais les aménagements annoncés ne sont pas à la hauteur des enjeux », estime Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (1). Selon lui, « l’Europe doit reprendre l’initiative, avec des plateformes qui amènent les gens à délibérer ensemble et non à être pilotés par des algorithmes. C’est ce que nous expérimentons depuis le 2 novembre en Seine-Saint-Denis avec Orange et Dassault Systèmes, en associant le monde universitaire, scolaire, et les familles ».

Autre suggestion, pour reprendre la main, le sociologue Gérald Bronner, qui avait senti venir ce problème dès 2013 et en avait fait un livre (2), préconise « une nouvelle forme de militance républicaine ». Il appelle « les gens de raison à consacrer 10 à 15 minutes par jour pour faire reculer, dans leur domaine de compétences, les bêtises qui circulent sur les réseaux sociaux et peuvent être dangereuses pour la démocratie ». C’est aux internautes de se corriger les uns les autres. Il s’agit pour lui d’« un nouveau travail de citoyen ».

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repères

44 % des Américains s’informent sur Facebook

Selon le Pew Research Center, 62 % des Américains utilisent les réseaux sociaux pour s’informer régulièrement ou occasionnellement, Facebook en tête (44 %), suivi de loin par YouTube (10 %), Twitter (9 %) et Instagram (4 %).

En France, 41 % des personnes interrogées disent s’informer « souvent » par Internet et les réseaux sociaux, selon un sondage BVA réalisé pour Orange (contre 53% par la télévision, 35% par la radio, 24% par la presse écrite).

Le site Breitbart News,perçu par la presse américaine comme l’un des principaux responsables de la victoire de Donald Trump, veut s’implanter en France et en Allemagne à la veille d’élections majeures. Il est dirigé par Steve Bannon, nommé conseillé spécial du prochain président américain.

(1) Auteur de Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou, Éd. Les liens qui libèrent, 2016, 480 pages, 24 €

(2) La Démocratie des crédules, Éd. Puf, 2013, 19 €.