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Nucléaires: le combat d'irradiés pour être indemnisés

Un soldat à l'aéroport de Mururoa, en Polynésie française, le 13 février 2014 [Gregory Boissy / AFP] Un soldat à l'aéroport de Mururoa, en Polynésie française, le 13 février 2014 [Gregory Boissy / AFP]

Ils ont pris part voici des décennies aux essais nucléaires français en Polynésie ou dans le Sahara et souffrent aujourd'hui d'une maladie grave, qu'ils estiment dûe aux radiations. Mais pour des centaines d'anciens soldats ou civils de l'armée, le chemin judiciaire vers une indemnisation est semé d'embûches.

Depuis des années, les associations de victimes dénoncent l'inefficacité de la loi votée en 2010, précisément pour faciliter la reconnaissance du statut de victime.

"Dans les faits, ça ne fonctionne pas: il faut vraiment que vous ayez été assis sur un baril de plutonium pour que votre dossier soit accepté", ironise Jean-Luc Sans, président de l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven).

Pour ce militant, l'Etat est réticent à indemniser les victimes "car il a peur de renforcer le lobby antinucléaire s'il admet que les essais n'étaient pas propres".

De fait, sur les 880 dossiers de demandes d'indemnisation déposés au 1er janvier 2014, 17,5% ont été jugés incomplets, 81% ont été rejetés... et 1,5% acceptés, selon des chiffres communiqués à l'AFP par le ministère de la Défense.

Pourtant, les projections établies lors de l'examen de la loi en 2010 faisaient état "de 2.000 à 5.000 dossiers indemnisables", a rappelé un récent rapport du Sénat, qui a pointé l'inefficacité du dispositif. Fin 2012, le président François Hollande avait lui-même évoqué le problème, en reconnaissant que la loi n'avait pas été appliquée "avec la détermination nécessaire".

Le site de l'atoll de Mururoa où la France menait des essais nucléaires, photographié le 13 février 2014 [Gregory Boissy / AFP]
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Le site de l'atoll de Mururoa où la France menait des essais nucléaires, photographié le 13 février 2014
 

Selon M. Sans, dans la majorité des cas l'Etat se retranche derrière une faille de la loi de 2010 qui lui permet d'estimer "négligeable" le risque attribuable aux essais nucléaires.

C'est justement la réponse qui a été apportée à Daniel Petersheim, un retraité résidant près de Metz. Depuis l'âge de 51 ans -il en a aujourd'hui 66-, il souffre d'une forme rare de leucémie chronique.

 

- "J'ai peur pour mes petits-enfants" -

 

Or, en 1967-1968, M. Petersheim a effectué son service militaire sur l'atoll polynésien de Hao, à quelque 440 km de Mururoa, où étaient tirées les charges nucléaires. "Je côtoyais les avions qui revenaient de Mururoa", raconte le sexagénaire. "Je me baignais dans le lagon, sans aucune protection".

Y a-t-il un lien entre son cancer et les radiations dûes aux essais nucléaires ? "Mon médecin dit que c'est probable". Pour l'heure, le ministère de la Défense ne l'a pas entendu de cette oreille, et M. Petersheim a dû saisir le tribunal administratif de Strasbourg.

Mercredi, lors de l'examen de son dossier, le rapporteur public -magistrat indépendant chargé de proposer une solution au tribunal- a préconisé le rejet de la requête. La décision sera rendue ultérieurement. "L'indemnisation, je n'y crois plus trop. J'ai eu un beau service militaire, mais je l'ai payé cher. Et j'ai peur que ma fille et mes petits-enfants tombent malades à leur tour !", dit le retraité.

Quelque 150.000 personnes -civils ou militaires- ont été impliquées de près ou de loin dans les 210 essais nucléaires conduits de 1960 à 1996 en Polynésie ou dans le Sahara algérien.

Partout en France, quelque 230 procédures ont été intentées depuis un an devant une quinzaine de tribunaux administratifs, pour contraindre l'Etat à revenir sur son refus d'indemniser les vétérans ou leurs ayants droit.

"Globalement, nous avons obtenu plus de décisions favorables que défavorables", se félicite Me Cécile Labrunie, une avocate qui a plaidé la plupart de ces dossiers. Mais les décisions peuvent varier fortement d'un tribunal à l'autre. Surtout, "les personnes que je représente sont lasses, elles enragent, elles se battent depuis des années, elles n'en peuvent plus des effets d'annonce qui ne sont pas suivis d'effet", souligne l'avocate, dénonçant "un système d'indemnisation qui n'indemnise pratiquement personne".

Parfois, le vétéran lui-même n'est plus là pour se battre, et ses ayants droit reprennent le flambeau. Evelyne Nicod, une habitante de Marlenheim (Bas-Rhin), a ainsi été déboutée alors qu'elle tentait d'obtenir une indemnisation pour son mari Claude, décédé en 2004, à 59 ans, des suites d'un cancer du rein.

 

Une simple douche après l'explosion

 

Claude Nicod était plongeur dans la Marine nationale et a notamment participé à l'essai nucléaire "Dragon", tiré au-dessus de l'atoll polynésien de Fangataufa en mai 1970. "Ce que je regrette le plus, c'est qu'il n'a jamais eu de suivi médical. Si cela avait été le cas, il aurait pu être soigné beaucoup plus tôt, et sans doute sauvé", regrette sa veuve. "A l'époque, on ne disait rien aux soldats sur les risques encourus. Après l'explosion, ils prenaient une simple douche! Ca me met en colère que l'Etat ne veuille pas reconnaître ses responsabilités", ajoute Mme Nicod, qui a fait appel.

Au ministère de la Défense, on souligne que tous les dossiers rejetés par le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) pourront être réexaminés, à la faveur d'une réforme votée en décembre dans le cadre de la loi de programmation militaire. Pourront désormais prétendre à indemnisation toutes les personnes ayant résidé ou séjourné sur la période concernée dans l'ensemble de la Polynésie, alors qu'auparavant la loi était circonscrite à certaines zones précises de l'archipel.

L'Etat "n'a eu de cesse d'améliorer le dispositif depuis sa création", assure le général Bernard Barrera, porte-parole adjoint du ministère de la Défense. Par ailleurs, le placement du Civen sous la tutelle de Matignon, et non plus du ministère de la Défense comme auparavant, permettra de "dissiper les critiques", espère-t-il.

Pour l'heure, les associations sont circonspectes. "Nous attendons les décrets d'application de cette nouvelle loi. Nous espérons que ça sera la fin de nos problèmes", résume M. Sans.

L'Etat a prévu une enveloppe de 10 millions d'euros par an pour indemniser les victimes de radiations. Seule une "part minime" de cet argent a été utilisée, a pointé le Sénat en octobre.

 

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