Robert Linhart, auteur de “L'Etabli” sort de son silence sur France Inter

La productrice Laure Adler revient sur le livre “L'Etabli”, récit d'un intellectuel employé comme ouvrier dans une usine Citroën en 1968. Son auteur, pourtant retiré du monde, lui a accordé un entretien.

Par Aude Dassonville

Publié le 25 décembre 2016 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h27

Drôle de programme de fête, que celui que Laure Adler s’apprête à dérouler cette semaine. Soir après soir, la présentatrice de L’Heure Bleue (France Inter, 20h) va exhumer les mots « ouvrier », « usine », « grève », « extrême gauche », et les ramener dans la lumière grâce au livre de Robert Linhart, L'établi (Ed. de Minuit). Une façon toute personnelle de refermer l’année qui a vu une certaine Loi travail précipiter des gens dans la rue plus d'une dizaine de fois et passer de force à l’Assemblée ? Même pas — l’allusion aurait manqué de subtilité. C’est son admiration pour un texte intense, partagée avec son directeur des programmes Emmanuel Perreau, qui a convaincu la productrice de lui aménager un véritable écrin. « L’Etabli est en train d’entrer dans le patrimoine, assure-t-elle. Des metteurs en scène s’y intéressent, et il est l’objet d’une adaptation pour le cinéma. »

“J’avais lu ce texte à sa sortie, en 1978, et il m’avait transpercée” Laure Adler

Dans cet ouvrage étincelant comme une pièce d’usinage, net et précis, l'intellectuel proche de Louis Althusser raconte son expérience de manœuvre à l’usine Citroën de la Porte de Choisy, en 1968. Tout y est dit de la pénibilité des tâches, de la violence du management, du racisme décomplexé, de l’anéantissement de la volonté individuelle ou encore de la psychologie de la grève. Ce témoignage, le fondateur du mouvement maoïste français a mis dix ans avant de l’écrire. « J’avais lu ce texte à sa sortie, en 1978, et il m’avait transpercée », se souvient Laure Adler. Allait-il bouleverser ceux qui le découvriraient en 2016 ? Après avoir pensé à Mathieu Amalric pour en assurer la lecture, la journaliste s’est tournée vers son ami Sami Frey. « Il connaissait le texte par cœur. Il l’a même sur son iPad ! ». Le comédien s’est d’abord estimé trop vieux pour le « rôle ». Puis il s’est laissé convaincre. Ce jour de fin novembre, disparaissant presque entièrement derrière le micro d’un studio de Radio France, on l’a entendu conférer aux phrases de Robert Linhart une profondeur nouvelle. Sa voix de limaille, comme surgie du fond des âges, donnait une dimension démiurgique au récit du sociologue, observateur et rouage d’un monde parallèle mais bien réel — celui de la chaîne de montage de voitures 2CV. En milieu de semaine, Leslie Kaplan, ex-“établie” elle aussi (L'Excès-usine est paru en 1982) et l'historienne Michelle Zancarini-Fournel, le remettront à leur tour en perspective.

“La révolution… Y avons-nous cru vraiment ? Je ne sais pas” Robert Linhart

Pour l’auditeur ignorant de ce livre qui, Laure Adler en est persuadée, « résonne dans la conscience commune », le plus bouleversant arrive ensuite. Robert Linhart étant toujours en vie, il fallait l’interroger. Or depuis une tentative de suicide, en 1981, le philosophe s'est réfugié dans le silence. Dans l’intimité, comme l’a raconté sa fille Virginie dans le passionnant Le jour où mon père s’est tu (Editions du Seuil, 2008), mais aussi dans la vie publique. Une seule fois, Laure Adler l’a convaincu de se confier à elle pour son émission Hors Champs, sur France Culture; allait-il la recevoir une nouvelle fois, lui que la maladie bipolaire tient à l'écart de la société ? Ce fut encore oui, et l’entretien qu’ils ont eu sera diffusé en deux parties (lundi et vendredi).

D’une voix affaiblie, l’homme raconte comment, tant d’années après, il continue de rêver de la cadence de production, qu’il « n’arrive pas à suivre ». Entre deux souvenirs, les silences paraissent longs comme le passé. Quand il s'agit de tirer les enseignements de ses années militantes, les affirmations se font chancelantes. « Est-ce que vous pensez que la révolution était une illusion ? » le bouscule Laure Adler, cruelle malgré elle. « Oui, enfin bon, répond dans un murmure l’ancien militant de la Gauche prolétarienne. La révolution… Y avons-nous cru vraiment ? Je ne sais pas. » Un aveu qu’on dirait sorti d’un songe...même si, il y a près de 50 ans, ce rêve lui semblait bien réel.

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