Samedi 24 décembre, le Journal du dimanche publiait le classement annuel des personnalités préférées des Français. Parmi les 50 premières et loin derrière Omar Sy ou Teddy Riner, trois candidats à l’élection présidentielle : dans l’ordre, Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron.

Centrale dans notre démocratie d’opinion, la popularité a même, par défaut, contraint le président sortant à ne pas briguer un second mandat. Une première dans la Ve République qui amène à se questionner sur l’histoire politique de cette obsession : être populaire.

Une connivence avec le peuple

Au sein de la République romaine, les tribuns de la plèbe, notamment les Gracques au IIe siècle avant J.-C., défendaient les intérêts de celle-ci face au pouvoir politique. Lors de la campagne présidentielle de 2007, des personnalités de gauche reprirent d’ailleurs ce nom et cette vocation, formant un groupe de « réflexion et de pression » au service des « sans voix ».

Les Gracques s’appuyaient sur leur « connivence avec la plèbe pour interpeller la classe politique », analyse l’historien Christophe Charle, soulignant le double sens du mot. Selon l’étymologie latine en effet, la popularité désigne aussi bien la manière dont une personne cherche la faveur du peuple que le crédit dont elle dispose auprès de lui.

Fille de la démocratie universelle

Dans l’histoire moderne, la popularité est ainsi liée à l’émergence d’une opinion publique, libre d’exprimer son avis. Du temps des rois, il ne saurait donc en être question, « la popularité d’Henri IV n’étant qu’une construction a posteriori, note Christophe Charles. De même, les jugements en popularité n’ont aucune valeur dans des contextes politiques contraints, comme pendant l’Occupation en France ou sous des dictatures ».

Plus encore, précise Olivier Ihl, professeur de sciences politiques, la popularité apparaît lorsque prend fin le régime censitaire où la notoriété attachée à la lignée prévalait : « Avec la démocratie universelle, il va devenir très important de s’assurer de l’approbation populaire, de la reconnaissance par tous. Dans cette nouvelle logique, le nombre seul fait la popularité. »

Un révélateur des crises politiques

Mais au cours des siècles, elle fut aussi le révélateur de la crise des institutions politiques, fonctionnant par exemple à la fin du XIXe siècle « comme une manière de contourner la démocratie parlementaireau moment où les députés sont discrédités par des scandales à répétition », analyse encore Christophe Charle. En témoigne la trajectoire fulgurante du général Boulanger.

Avant d’ébranler la IIIe République avec le mouvement qui portera son nom, le ministre de la guerre gagne une large popularitédurant l’année 1886 « par ses discours s’adressant au soldat de base comme à la droite conservatrice et nationaliste, par sa prestance aussi, poursuit l’historien. Ce sont toujours les mêmes ingrédients de la popularité qui revient au centre dans les moments de crise politique, comme aujourd’hui. »

Créature des sondages

De nouveaux acteurs, apparus dans les années 1930 outre-atlantique, sont venus cependant changer la donne : les instituts de sondage. Désormais, la publication des cotes de popularité des candidats « vient concurrencer l’élection, tranche Olivier Ihl. Le droit français a même dû en interdire la diffusion dans les dernières 24 heures pour permettre aux électeurs de réfléchir posément ».

D’autant que ces indices de popularité « sont aujourd’hui de plus en plus disjoints de la reconnaissance d’une exemplarité. Ils ne font qu’enregistrer « l’opinement » et ne disent rien sur les mérites de la personne ni sur les vertusqu’on lui reconnaît, commente encore le politologue. Cette popularité sondagière est aussi floue que fugace. »

Une menace pour la démocratie électorale

Fait nouveau, elle n’oriente pourtant pas seulement l’opinion mais les candidats eux-mêmes. Dans l’histoire politique récente, on peut se souvenir par exemple que Michel Rocard ne s’est jamais porté candidat malgré une popularité hors du commun pour mesurer cette évolution : « Aujourd’hui au contraire, souligne Christophe Charle, les candidats hors primaire font appel à leur popularité personnelle pour contester la règle générale. »

La quête incessante de popularité entretient un cercle vicieux au centre de notre vie politique : elle pousse les élus à calquer leurs actions sur les sondages d’opinion, nourrissant par cette versatilité le rejet dont ils sont l’objet.