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Lamya Essemlali : «L’humanité perçoit l’océan comme un gigantesque garde-manger»

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Les humains sont en train de détruire les mers, pourtant indispensables à l'équilibre de notre écosystème.
par Lamya Essemlali, co-fondatrice et présidente SeaShepherd France
publié le 28 décembre 2016 à 15h23

Le 14 janvier, Libération organise «Quand l'eau révèle le monde», une journée de débats au siège de la rédaction. Lamya Essemlali participera à la table ronde «Eau et climat». Inscrivez-vous ici pour y assister.

La planète Mer baptisée «Terre» par déformation anthropocentrique est recouverte d’eau à 70% mais composée d’eau à 90%, si l’on compte fleuves, rivières, nappes phréatiques et glaciers. Toutes ces formes d’eau sont interconnectées et constituent d’une certaine manière le sang de la planète, remplissant un rôle similaire au sang qui coule dans nos veines.

Or, depuis l’avènement des premières pêcheries, l’humanité perçoit l’océan surtout comme un gigantesque garde-manger. Autrefois considéré comme inépuisable, on prend aujourd’hui conscience de ses limites. Les poissons dans leur immense majorité sont considérés comme une source de protéines indispensables et à l’exclusion (relative selon les pays et les époques) des mammifères marins, tout ce qui vit dans l’océan ou presque est comestible par l’humanité - ou susceptible de l’être.

Pollution et surpêche

Paradoxe s’il en faut, cet appétit gargantuesque pour la vie marine ne nous empêche guère dans le même temps de déverser dans l’océan des millions de tonnes de déchets pétrochimiques ou ménagers. 154 millions de tonnes de poissons (soit plusieurs centaines de milliards d’individus) sont pêchées chaque année, ce à quoi s’ajoute une estimation de 50 millions de tonnes pêchée illégalement.

Aujourd’hui, les Nations Unies estiment que 80% des populations de poissons sont exploitées à leur maximum, surexploitées ou disparues et prédisent un effondrement des pêcheries commerciales mondiales d’ici à 2048. Concrètement, qu’est ce que cela veut dire ? Des milliers de pêcheurs au chômage ? Moins de choix au menu des restaurants ? En réalité les conséquences seraient bien plus dramatiques et globales et pourraient mettre en péril la survie de nombreuses espèces, à commencer par la nôtre. Pour prendre la mesure réelle de l’enjeu, il est indispensable de reconsidérer notre vision de l’océan et des animaux marins.

Un poumon du globe

Bien avant de constituer une source de protéines pour l’humanité, les poissons et la vie marine en général sont les ouvriers essentiels d’une machinerie complexe qui régule le climat et produit plus de la moitié de l’oxygène planétaire. On peut ainsi considérer que nous devons plus d’une inspiration sur deux à la vie marine. L’océan capte et emprisonne le dioxyde de carbone et le méthane (gaz à effet de serre) et produit de l’oxygène, rendant ainsi l’atmosphère respirable et la température tolérable pour les espèces terrestres actuelles.

Or, c’est bien la biodiversité marine, ce grand architecte à l’œuvre. Sans elle, l’océan ne serait qu’une vaste étendue d’eau «inerte». Ainsi, baleines, dauphins, phoques, oiseaux marins et leurs millions de tonnes d’excréments riches en azote et en fer, nourrissent le phytoplancton, véritable forêt océanique, qui produit l’oxygène mais qui sert aussi de nourriture au zooplancton, jouant lui-même un rôle important dans la fonction «puits de carbone» de l’océan et servant de nourriture aux espèces du bas de la pyramide trophique, elles-mêmes consommées à leur tour, jusqu’aux grands prédateurs que sont les orques, les baleines et les grands requins… La boucle est bouclée et l’équilibre océanique se maintient ainsi depuis des millions d’années.

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Depuis quelques siècles et encore plus depuis les dernières décennies, nous impactons de manière dramatique et sans précédent ce cercle vital, vertueux et fragile. Nous avons ainsi déjà exterminé 90% des grands poissons et à chaque espèce qui s’affaiblit ou disparaît, c’est un boulon de la machine-océan que nous faisons sauter.

Il faut donc espérer que nous ferons mentir les prévisions de l’ONU et que nous saurons revoir notre rapport à l’océan et à la vie marine, puisque plus qu’une source de protéines, ce qui est menacé de disparaître d’ici 2048, ne serait ni plus ni moins que la civilisation humaine et la vie sur terre, telle que nous la connaissons.

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