"L'Éveil d'une nation" : la Tunisie redécouverte au palais Qsar es-Saïd

EXPOSITION. Jusqu'au 27 février 2017, "L'Éveil d'une nation" donne à mieux connaître les grandes réformes de la Tunisie moderne, de 1837 à 1881.

Par , à Tunis

"L'Éveil d'une nation" : la Tunisie redécouverte au palais Qsar es-Saïd © DR

Temps de lecture : 5 min

Avec l'acte d'abolition de l'esclavage de 1846 – antérieur donc à celui de la France – puis le Pacte fondamental, ou Ahd al-aman ,promulgué en 1857 par Mohamed Bey, la Tunisie est entrée dans une période de réformes juridiques et politiques qui s'est poursuivie jusqu'à l'instauration du Protectorat français en 1881. Notamment avec le Dostour en 1961, première Constitution du monde arabe, qui limitait le pouvoir absolu par la création d'un Conseil consultatif et introduisait le concept de monarchie constitutionnelle. Pour la première fois, ce document a quitté les Archives nationales où il est conservé pour rejoindre le patio du palais Qsar es-Saïd, situé à une centaine de mètres du musée du Bardo, à Tunis. Autour de lui, près de 300 œuvres et objets constituent l'exposition L'Éveil d'une nation, portée par la Fondation Rambourg, l'Institut national du patrimoine et le ministère des Affaires culturelles de Tunisie. Un bel événement qui témoigne du besoin des Tunisiens, cinq ans après la révolution et 60 ans après l'Indépendance, de se replonger dans leur histoire nationale.

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Retour au temps des Beys

« Sous Bourguiba, et plus encore sous Ben Ali, l'époque des Beys de Tunisie a été dévalorisée et a fini par tomber dans l'oubli », constate l'historien et commissaire de l'exposition Ridha Moumni. Une manière pour la nouvelle République d'enterrer la monarchie qui, à partir de Ahmad Bey (1837-1855), soit en pleine période d'expansion des empires européens, s'est pourtant dotée d'un appareil juridique et politique d'une grande modernité. « Il est important pour cela de réinscrire cette période dans la mémoire collective. Elle est très proche de nous, et riche d'enseignements dans la difficile époque de transition que nous traversons. »

C'est aussi l'opinion de Mohammed Khaled Hizen, journaliste pour La Presse magazine et féru de patrimoine architectural, qui a improvisé une visite le jour de l'ouverture de l'exposition, le 27 novembre 2016, pour un public venu nombreux. « On entend parfois dire que le patrimoine marocain est plus riche que son homologue tunisien. Cette exposition est la preuve que c'est complètement faux. Elle est aussi la preuve que la Tunisie a très tôt su se forger une personnalité politique forte, d'une grande indépendance par rapport aux puissances européennes. » Résultat d'une démarche patrimoniale et curatoriale de longue haleine, L' É veil d'une nation offre ainsi au pays l'occasion de se ressourcer et de regagner confiance. Si l'État a pu à l'époque affirmer son autonomie et son désir de modernité, n'est-il pas en effet permis d'espérer aujourd'hui une sortie de crise ? C'est ce qu'espère Olfa Rambourg, présidente de la fondation éponyme.

Une exposition-événement

Créée en 2011 afin de « soutenir des organisations engagées dans la protection et le renforcement des droits de l'homme, la promotion de l'éducation, et la préservation de la santé », la fondation Olfa Rambourg réussit, avec L' É veil d'une nation, son action la plus visible. La plus novatrice, aussi. Fruit du premier partenariat de cette ampleur entre une structure privée et des institutions publiques, cette exposition est en effet l'opération culturelle la plus coûteuse montée à ce jour en Tunisie. Pays où, selon Ridha Moumni, « les investissements en matière culturelle se concentrent autour des festivals ». Fournis à 95 % par la fondation Rambourg, les 800 000 euros rassemblés pour le projet ont non seulement permis d'ouvrir pour la première fois au public le palais Qsar es-Saïd, dernière résidence des Beys de la Tunisie, mais aussi de financer la restauration de vingt grandes toiles issues des collections nationales.

© DR


Dirigé par Cinzia Pasquali, connue pour son travail dans la galerie des Glaces du château de Versailles et dans la galerie d'Apollon du musée du  Louvre, ce chantier a été en partie réalisé par une équipe locale formée sur place, qui poursuivra de manière autonome la restauration des collections nationales, témoins d'un siècle de mutations. D'un dialogue fertile avec l'Occident aussi bien que l'Orient, qui s'exprime sur le plan politique autant qu'artistique. Parmi les toiles restaurées, bon nombre furent en effet offertes aux dirigeants tunisiens par des souverains étrangers. D'autres rendent compte des bonnes relations entretenues par la monarchie tunisienne avec les puissances extérieures. Sadok Bey (1813-1882) est par exemple représenté avec Napoléon III lors d'une entrevue à Alger, et Hédi Bey (1855-1906), dans une visite officielle en France.

Une visite pédagogique

« À travers les divers objets exposés, ainsi que dans l'architecture et la riche décoration arabo-andalouse et italianisante du palais Qsar es-Saïd, on observe aussi l'évolution des goûts au XIXe siècle », remarque Ridha Moumni. Née de la volonté de redonner des repères à une Tunisie en pleine désillusion post-indépendance, l'exposition donne à voir ces changements tout au long d'un parcours chronologique d'une grande précision et pédagogie. « L'objectif premier de l'exposition est de démocratiser l'accès au patrimoine. Notamment pour les jeunes, qui n'étudient pas ou peu cette période de l'histoire à l'école. »

De la Tunisie sous influence ottomane à celle qui, au terme d'un long rapprochement avec l'Europe, signe au palais Qsar es-Saïd sa soumission au Protectorat français avec le traité du Bardo, L'Éveil d'une nation évite pourtant toute simplification. Loin d'être présentée comme une période idéale et homogène, la Tunisie moderne est montrée dans toute sa complexité. On apprend ainsi que le Dostour provoque en 1864 une révolte des tribus, entraînant une suspension momentanée de la Constitution ainsi qu'une violente répression dans l'ensemble du territoire. Ou encore que les nombreuses avancées administratives, sociales et intellectuelles imposées par le mamelouk converti à l'islam Mustapha Khaznadar (1837-1873) puis par Kheireddine Pacha se firent dans un contexte de crise financière qui contribua à la mise sous tutelle du pays.

Pour toutes ces raisons, L'Éveil d'une nation est d'autant plus réjouissant qu'il s'agit d'un premier pas. Après l'exposition, des travaux de rénovation rendront en effet au palais Qsar es-Saïd tout son lustre, afin d'en faire un musée de l'histoire moderne et contemporaine tunisienne.

L'Éveil d'une nation va durer jusqu'au 27 février 2017, tous les jours sauf le mardi de 10 heures à 18 heures au palais Qsar es-Saïd, rue de l'Évacuation à Tunis.