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Fondamental

Un modèle scientifique décrit le cycle de vie des bulles de champagne

Amateur de champagne, savez-vous comment naissent et meurent ses fines bulles ? Une question à laquelle répondent deux articles-fleuves d'un chercheur du CNRS à Reims. Une épopée scientifique qui convie mécanique des fluides, mais aussi chimie et thermodynamique. 

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Le champagne, c'est avant tout ses bulles. Mais d'où viennent-elles ?

ISOPIX/SIPA

BULLES. Incontournable des fêtes, le champagne est un invité fidèle du 31 décembre. Et son pétillant a des allures de tempête : pas moins d'un million de bulles par verre en moyenne, de quoi agréablement chatouiller le palais. Des bulles de dioxyde de carbone (CO2) pas si anecdotiques qu'il n'y paraît, puisqu'elles influent aussi directement sur le goût de la boisson et accélèrent la diffusion des arômes dans l'environnement sous forme d'aérosols. Gérard Liger-Belair, chercheur en mécanique des fluides au CNRS à Reims, s'est intéressé à l'histoire de ces bulles de bout en bout, de leur genèse au cours du processus de champagnification à leur éclatement une fois le bouchon sauté et les coupes servies. Le tout fait l'objet d'un double-article dans The European Physical Journal, à paraître le 6 janvier 2017. L'enjeu ? Constituer un modèle physique complet de la formation des bulles à partir du dioxyde de carbone dissout dans le liquide, de la mise en bouteille au débouchage. 

Quelques secondes après avoir été servi et après que la mousse ait disparu, les bulles se répartissent dans le verre selon un motif hexagonal / Photo : Gérard Liger-Belair

La fermentation : dénominateur commun du pain et du champagne

Traditionnellement, le champagne est produit grâce à deux étapes de fermentation. La première consiste à transformer le sucre contenu par les raisins récoltés (après pressurage manuel) en un mélange d'alcool de de gaz carbonique dissout, le tout grâce à des levures qui agissent comme catalyseurs (c'est à dire qu'elles favorisent la survenue d'une réaction chimique sans elles-mêmes apparaître dans le bilan). Les levures utilisées sont des plus classiques, puisqu'il s'agit de Saccharomyces cerevisiae, autrement dit... de la levure de boulanger ! L'équation chimique de la réaction est la suivante :

C6H12O6 (glucose, en moyenne 150g/L) → 2CH3CH2OH (éthanol) + 2CO2 (dioxyde de carbone)

C'est ainsi du taux de sucre du jus de raisin initial que va dépendre le titre alcoolique de la boisson fermentée. "Mais dans les régions viticoles fraîches comme la Champagne, l'Alsace ou l'Allemagne, où les grappes peinent à mûrir, le niveau de sucre peut être insuffisant et aboutir à un niveau d'alcool trop faible", écrit Gérard Liger-Belair. "C'est pour cela que les producteurs recourent, sauf années exceptionnellement ensoleillées, au processus de chaptalisation. Avec ce dernier, on ajoute du sucre au jus de raisin afin d'obtenir une moûture à environ 11% à l'issue de la première fermentation." 

BOUCHON. Après assemblage du cru (c'est-à-dire mélange de différents cépages), le champagne est prêt à être mis en bouteilles pour subir une seconde étape de fermentation alcoolique, appelée "prise de mousse". Une nouvelle fois, du sucre est ajouté (environ 24 g/L) ainsi que des levures... mais en milieu hermétiquement clos, puisque les bouteilles sont soigneusement bouchées. Le tout permet d'atteindre un titre alcoolique d'environ 12,5% ... avec une différence de taille par rapport à la première fermentation, qui survenait en environnement ouvert : "Le dioxyde de carbone ne peut s'échapper dans l'air, et se dissout progressivement dans le vin... mais en augmentant considérablement la pression", explique Gérard Liger-Belair. Dans des conditions habituelles de dégustation (8 à 10°C), cette pression atteint environ 5 bars (soit 5 fois la pression atmosphérique) mais peut facilement s'élever jusqu'à 10 bars si l'on laisse la bouteille se réchauffer à 25°C ! De quoi expliquer pourquoi certains bouchons semblent parfois sauter tous seuls lorsque la bouteille est tiède... 

Vie et mort d'une bulle de champagne

Une fois le délicieux "pop" du bouchon entendu, c'est une véritable cascade de manifestations qui s'enchaîne, même si certaines, comme le jaillissement du CO2 sous forme gazeuse, sont invisibles à l'œil nu (voir image ci-dessous). Vu de cette façon, le débouchage du champagne prend des allures de lancement d'une fusée. Et ce n'est pas tout : lors de l'ouverture de la bouteille, la petite quantité de gaz carbonique non dissout entre le liquide et le bouchon subit un brusque changement de pression, passant de 5 à 1 bar. La conséquence thermodynamique ? La température du gaz s'abaisse d'une dizaine de degrés et provoque un nuage de dioxyde de carbone condensé au dessus du goulot.

Le gaz carbonique dissout retrouve sa forme gazeuse et jaillit brusquement lors du débouchage (imagerie infrarouge à haute vitesse)  / Photo : Gérard Liger-Belair

SERVICE. Ce n'est pas la moindre des questions auxquelles répond le chercheur, qui indique aussi comment servir au mieux le champagne pour préserver ses bulles. "Très clairement, le servir frais en penchant le verre aidera à préserver plus longtemps le CO2 dissout dans la phase liquide, et donc allongera l'effervescence du champagne". La qualité de la verrerie et sa propreté jouent aussi pour beaucoup, puisque la moindre aspérité ou impureté au fond du verre accélérera la fuite du gaz carbonique. Et quid de la forme du verre : coupe ou flûte ? La flûte préserve les bulles plus longtemps, tranche-t-il.

Image : G. Liger-Belair 

Et que se passe-t-il lorsque les bulles remontent et éclatent à la surface du liquide ? Elles provoquent des projections de gouttelettes dans l'air (ou aérosols), qui contiennent les arômes du champagne. Ils sont éjectés lorsque les bulles adjacentes fusionnent et éclatent. Avec une particularité photogénique : à l'aide d'un appareil photo à haute vitesse, on peut surprendre l'apparition d'étonnantes structures concentriques en forme de fleurs (voir ci-dessus). De quoi promettre une belle effervescence à votre coupe (ou flûte) de mousseux le 31... avec ou sans Efferalgan le lendemain.

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