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La France ouvre le procès des "biens mal acquis" somptuaires des dictateurs africains

Téodorin Obiang, le fils du président de la Guinée équatoriale, est jugé à partir de cet après-midi pour blanchiment. La justice a notamment saisi son immeuble, avenue Foch, évalué à 107 millions d'euros.

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Théodorin Obiang, décembre 2016.

La France ouvre le procès des "biens mal acquis" des dictateurs africains.

AFP

L’addition donne le tournis. Des dizaines de paires de chaussures et de costumes Dolce & Gabbana pour un total de 70.000 euros, des bouteilles de Romanée-Conti pour 250.000 euros, des montres Cartier pour 710.000 euros, des couverts Christofle pour 2 millions… Téodorin Obiang, le fils de Président de la Guinée équatoriale, n’a pas lésiné sur les dépenses lors de ses nombreux séjours à Paris. Son train de vie, résumé par son majordome en trois mots, "alcool, pute, coke", contraste avec celui de ses concitoyens, dont les trois quarts vivent sous le seuil de pauvreté, et lui vaut désormais les foudres de la justice française.

C’est, en effet, cet après-midi que s’est ouvert un procès d’un genre inédit au Palais de justice de Paris. Pour la première fois, un dirigeant étranger, aujourd’hui vice-président de Guinée, est accusé d’avoir blanchi en France de l’argent issu de la corruption et de détournements de fonds publics dans son pays. Obiang n'est pas présent au procès. Mais le jugement pourrait faire date alors que d’autres dignitaires étrangers sont visés par les enquêtes dites des "biens mal acquis": les clans Bongo au Gabon et Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville ainsi que Rifaat el-Assad, l’oncle du président syrien.

Un long combat judiciaire

Ce procès est l’aboutissement d’un long combat mené par les associations Sherpa et Transparency, qui ont porté plainte dès 2007. Malgré l’opposition répétée du parquet de Paris, une information judiciaire finit par être confiée, en 2011, aux juges financiers Roger Le Loire et René Grouman. Si la France ne peut condamner des dignitaires étrangers pour des infractions commises dans leur pays, elle estime pouvoir les poursuivre pour le blanchiment sur le sol français de l’argent issu de ces infractions. "La Cour de cassation a changé sa jurisprudence pour cette affaire, peste Emmanuel Marsigny, l’avocat d’Obiang. Aucun autre pays ne s’arroge le droit de caractériser des infractions à l’étranger en appliquant son droit."

Selon l’ordonnance de renvoi des juges, Obiang s’est enrichi "en obtenant des paiements de sociétés privées en contrepartie de l’obtention d’autorisations administratives, en détournant des fonds publics en provenance du Trésor Public de Guinée équatoriale [110 millions d’euros de 2004 à 2011] et en utilisant à des fins personnelles des fonds appartenant à plusieurs sociétés équato-guinéennes". Notamment la Somagui-Forestal, chargée de l’exploitation du bois, l’une des principales ressources du pays.

Des accusations réfutées par Emmanuel Marsigny. "Mon client ne conteste ni ses dépenses en France ni les virements du Trésor sur ses comptes. Il a toujours dit qu’il était actionnaire de sociétés privées qui contractaient avec l’Etat guinéen, ce qui est autorisé dans son pays." Les fonds d’Obiang ont transité par la banque locale SGBGE, détenue à 49 % par la Société Générale, qui a été placée sous le statut de témoin assisté durant l’enquête. Le siège parisien a même été perquisitionné et son directeur juridique auditionné. Mais le groupe n’a finalement pas été renvoyé en correctionnelle, les juges estimant que la filiale était sous l’emprise du pouvoir guinéen. Quant au père Obiang, au pouvoir depuis 1979 et également détenteur de biens en France, il est protégé par l’immunité des Chefs d’Etat.

Des voitures de luxe vendues aux enchères

Au-delà du procès, l’objectif des procédures est surtout de toucher les dignitaires au portefeuille en confisquant le patrimoine détenu en France. Les voitures, meubles et autres objets peuvent être vendus avant le procès, l’argent étant placé sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations en attendant le jugement définitif. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués aux criminels (Agrasc) a ainsi vendu aux enchères les bolides d’Obiang, des Mercedes Maybach, Rolls Royce Phantom, Porsche Carrera et autres Maserati. Sans oublier deux Bugatti Veyron, la voiture la plus chère du monde en son temps. L’Agrasc en a retiré plus de sept millions. En revanche, elle n’a pas pu mettre la main sur les objets d’art de la collection de Pierre Berger et Yves Saint-Laurent, achetés 18 millions chez Christie’s, ni sur ses tableaux de maîtres (Gauguin, Renoir, Degas...), estimés à 70 millions.  

Mais le gros du magot c’est l’immobilier, qui ne peut être saisi qu’à "titre conservatoire" en attendant le jugement définitif. Obiang a là-aussi fait fort avec un immeuble de 4.000 mètres carrés et 101 pièces, doté d’une salle de jeu et d’un cinéma. Situé au 42 avenue Foch, il a été acheté, en 2004, pour 25 millions mais en vaudrait aujourd’hui 107. Obiang s’y était gardé un triplex de 20 pièces, décoré par Alberto Pinto pour 11 millions, tandis que les appartements des 4ème et 5ème étages ont été aménagés sous la houlette du décorateur français Jacques Garcia. Un joli pied à terre qui n’a pas empêché le Guinéen de dépenser 588.000 euros à l’hôtel Crillon de 2004 de 2009.

L'immeuble de l'avenue Foch au coeur du procès

L’immeuble de l’avenue Foch a été évoqué lors de ce premier jour de procès. En effet, la Guinée tente de le faire passer pour un bâtiment diplomatique, alors même qu’elle n’en avait jamais informé au préalable le Quai d’Orsay comme l’exige le protocole. Quelques jours après la saisie des voitures stationnées avenue Foch fin septembre 2011, une petite affichette "République de Guinée équatoriale – locaux de l’ambassade", a ainsi été apposée à l’entrée. Depuis, des services diplomatiques y ont opportunément été transférés, ce qui n’a pas empêché la justice de saisir le bâtiment.

La Guinée a donc déposé un recours auprès de la Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye pour que l’immeuble bénéficie d’une protection diplomatique. La CIJ s’est prononcée provisoirement sur ce sujet le 7 décembre, comme l’indique son communiqué: "la Cour est d’avis que, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, les locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris devront jouir d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne, de manière à assurer leur inviolabilité." La CIJ demande donc à la France ne pas confisquer l’immeuble en attendant qu’elle se prononce à son tour sur le fonds.

Par ailleurs, Emmanuel Marsigny a aussi demandé un report du procès, estimant ne pas avoir eu le temps de préparer la défense d'Obiang correctement. "La date a été fixée lors d’une audience où je n’étais pas présent et les délais entre l’ordonnance de renvoi et la tenue des débats sont totalement insuffisants pour une affaire de cette nature." Le Tribunal se prononcera sur mercredi sur cette requête. 

 

Droit de réponse de Jacques Garcia Suite à la publication de cet article, Jacques Garcia a tenu à préciser que ni lui ni sa société « Décoration Jacques Garcia » n’a jamais travaillé de près ou de loin avec ou pour Monsieur Téodorin Obiang ou toute personne ayant un lien direct ou indirect avec lui ou avec la Guinée équatoriale. De fait, selon l’ordonnance de renvoi des juges, le gérant de l’immeuble du 42 avenue Foch a certes affirmé que les travaux des appartements des 4ème et 5ème étages avaient été accomplis par Jacques Garcia. Mais ces propos sont démentis, plus loin, par la directrice de l’agence de décoration Garcia, qui précise qu’aucune suite n’avait été donnée aux contacts commerciaux noués.

 

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