Sciences sociales

« J'en étais sûr ! » : l'étonnant succès des prédictions a posteriori

Pour plusieurs commentateurs, les surprises de l'actualité politique récente n'en étaient pas. Mais ce sont des jugements a posteriori, faussés par le biais de rétrospection.

POUR LA SCIENCE N° 471
Donald Trump

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Le monde est devenu déconcertant ces derniers temps, ce ne sont pas les responsables des instituts de sondages qui vous diront le contraire : Brexit, élection de Donald Trump aux États-Unis, victoire de François Fillon à la primaire de la droite en France... L'imprédictibilité des phénomènes sociaux n'aura jamais été aussi tangible.

Bizarrement, on trouve de nombreux éditorialistes de réseaux sociaux qui ne paraissent pas si surpris que cela. Tout leur paraît assez logique a posteriori, ce qui illustre la malicieuse remarque du célèbre physicien danois Niels Bohr : « La prédiction est un exercice très compliqué, particulièrement lorsqu'elle porte sur le futur. »

En effet, pour prolonger l'idée de Bohr, les prédictions assurées du plus grand succès sont celles qui sont faites après les événements. Il serait un peu cruel de remonter le fil de la publication de ces éditorialistes d'Internet pour voir si leurs éventuels commentaires révélaient réellement leur prémonition des événements.

Cruel, mais sans doute intéressant. C'est justement une expérience de ce genre qu'ont réalisée deux psychologues de l'université hébraïque de Jérusalem, Baruch Fischhoff et Ruth Beyth, bien avant l'existence de Facebook ou Twitter puisque leur article a été publié en 1975.

Quelques années auparavant, le président des États-Unis, Richard Nixon, s'apprêtait à faire une visite historique en Union soviétique et en Chine. Cette rencontre au sommet pouvait susciter bien des spéculations : Mao Tsé-toung accepterait-il de rencontrer le président des États-Unis ? Ceux-ci reconnaîtraient-ils officiellement la Chine communiste ? Les décennies de guerre froide allaient-elles permettre aux deux blocs de passer des accords ?

Pour toutes ces questions, les deux psychologues ont demandé aux sujets de l'expérience d'assigner une probabilité, par exemple : « À votre avis, quel pourcentage de chances Nixon a-t-il de rencontrer véritablement le leader de la Chine ? »

Après la rencontre historique effectivement réalisée, les psychologues revinrent vers ceux qui avaient accepté de se prêter au jeu de la prédiction et les interrogèrent sur l'exactitude de leur pronostic.

Les résultats obtenus sont amusants. Les sujets de l'expérience avaient tendance à nettement surestimer la probabilité qu'ils avaient attribuée à un événement qui s'était effectivement produit, tandis qu'ils minoraient beaucoup celle qu'ils avaient attribuée à un événement possible mais qui, lui, ne s'était pas réalisé. De façon générale, ils exagéraient franchement l'exactitude de leur prévision.

Des expériences de ce type ont été reproduites plusieurs fois à propos d'événements qui ont marqué l'opinion (comme la destitution possible de Bill Clinton, alors président des États-Unis, dans l'affaire Monica Lewinsky).

Ce biais rétrospectif qui nous assure que nous avons une bonne intuition des choses pourrait n'avoir qu'une incidence anecdotique sur nos vies. Cependant, il peut aussi, et c'est plus incommode, nous conduire à mal évaluer une décision politique, par exemple. On reproche facilement à un personnage politique d'avoir pris une décision qui, au moment en question, était justifiée, mais qui a eu de mauvais résultats. Inversement, on le gratifie rarement d'une reconnaissance pour une décision qui a eu des conséquences heureuses, mais dont la pertinence ne sautait pas aux yeux à l'époque où elle a été prise.

Ainsi, ce biais révèle que nous oublions facilement les conditions initiales et l'univers de possibles difficile à prédire qui enserre généralement les décisions publiques. Notre jugement a posteriori peut facilement être injuste, car nous focalisons notre attention sur les conséquences qu'a engendrées une décision plutôt que sur les conditions probabilistes réelles qui y ont présidé.

« J'en étais sûr ! » : l'étonnant succès des prédictions a posteriori

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Gérald Bronner

Gérald Bronner est professeur de sociologie à l'Université Paris-Diderot. Il est l'auteur de la rubrique Cabinet de curiosités sociologiques dans Pour la Science.

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