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Libération
Enquête

En France, les régions de droite lâchent les associations en rase campagne

Les aides publiques chutent, contraignant les petites structures environnementales à réduire leur activité.
par Coralie Schaub
publié le 2 janvier 2017 à 20h26

Sale temps pour les associations de protection de l'environnement. Un peu partout en France, elles font face à une baisse drastique de leurs financements publics. «Cela s'accélère et s'aggrave. Depuis quelques mois, on assiste même à des retraits complets, sans préavis», constate Sophie Fleckenstein, coordinatrice du lien fédéral pour la fédération France nature environnement (FNE), qui regroupe 3 500 associations. Sous la présidence de Laurent Wauquiez, la région Auvergne-Rhône-Alpes a ainsi réduit de moitié la subvention annuelle de l'emblématique Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna, lire plus bas), s'attaquant aussi aux associations d'éducation à l'environnement comme celles du réseau Graine, à l'agriculture biologique ou aux Amap (associations pour le maintien d'une agriculture paysanne).

En Ile-de-France, la présidente, Valérie Pécresse, vient de couper les vivres à une foule de structures consacrées à la nature, au climat ou au bio, jugées «sans intérêt direct pour les Franciliens». La région Hauts-de-France, dirigée par Xavier Bertrand, prévoit pour 2017 une baisse de 40 % du budget «développement durable, troisième révolution industrielle et transition énergétique» et de 35 % pour les associations environnementales. «Alors qu'un quart de la flore régionale est menacé et que de nombreuses espèces d'oiseaux sont en danger d'extinction, Xavier Bertrand décide de les sacrifier en coupant les subventions aux associations telles que le Groupement de défense de l'environnement de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer (GDEAM), le Groupe ornithologique et naturaliste du Nord-Pas-de-Calais ou encore la Ligue de protection des oiseaux (LPO)», déplore EE-LV Nord-Pas-de-Calais.

Bras de fer. Pourquoi un tel assèchement ? Un an après la vague Les Républicains (LR) des dernières élections régionales, Sophie Fleckenstein considère que «l'explication politique est dans certains cas une réalité». Si le phénomène concerne aussi d'autres secteurs comme la culture ou les associations LGBT, la jeune femme estime que les associations environnementales sont «un peu plus touchées» parce que le débat s'est focalisé autour de bras de fer très médiatisés comme la «ZAD» de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou la mobilisation contre le Center Parcs de Roybon (Isère). «On paie pour avoir lutté contre certains grands projets, les dossiers Center Parcs ont fait du mal à beaucoup de nos associations. Et on entend des discours du type "on ne va pas financer des associations qui par ailleurs nous attaquent", c'est nouveau.»

Les régions ne sont pas seules en cause. Plusieurs départements ont aussi baissé ou coupé les vivres. Le Morbihan a par exemple supprimé la totalité des 55 000 euros annuels alloués jusqu'ici à l'association Bretagne Vivante. «Nous ne pouvons pas subventionner des personnes qui nous assignent en justice, a justifié le Président du Conseil départemental François Goulard (LR, proche de François Fillon). Personne n'est indispensable. » Pour Charles Braine, Directeur de Bretagne Vivante, l'association n'a pourtant recours à la justice qu'en dernier ressort, « quand nous ne sommes pas entendus en amont et qu'un projet enfreint le droit de l'environnement ou la loi sur l'eau. On a la sensation qu'on ne veut pas que les associations aient les moyens de contester les aménagements. Surtout, ces 55 000 euros annuels ne servaient pas à financer des contentieux mais des actions de protection de la nature, dans des réserves naturelles comme les marais de Séné, dans les espaces naturels sensibles ou dans le cadre de l'observatoire régional des oiseaux marins ». Bretagne Vivante, créée voilà plus de 50 ans et présente dans les cinq départements bretons plus la Loire-Atlantique, gère notamment une centaine de réserves naturelles. «D'autres départements comme la Loire-Atlantique (PS) ont baissé leur participation au financement de nos projets sans que cela soit forcément malveillant. Il y a moins d'argent à tous les niveaux, des communes à l'Etat, précise Charles Braine. Heureusement que la région Bretagne (PS) maintient pour l'instant ses engagements à notre égard. Mais il nous manque 500 000 euros pour équilibrer nos comptes, pour un budget de 3,5 millions d'euros».

Dégâts. Cette période de vaches maigres sera difficile à traverser pour des associations qui souffrent aussi de retards de versements des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal, services déconcentrés de l'Etat) ou des financements européens. Ces retards posent de gros problèmes de trésorerie, alors que les associations en ont déjà traditionnellement très peu. «Elles ne sont quasiment plus financées que sur projets, souligne Sophie Fleckenstein. Si les financements publics arrivent très tard alors que l'argent a déjà été sorti pour réaliser ces projets et/ou si un partenaire se retire, ces structures au modèle financier fragile entrent dans un cercle vicieux». Ajoutez à cela des difficultés liées à la réforme territoriale et le fait que les fonds européens manquent eux aussi souvent à l'appel, les obtenir relevant de plus en plus du parcours du combattant… Et In fine, les effets sont dévastateurs, surtout pour les petites structures, souvent très dépendantes des financements publics (parfois jusqu'à 90 %). Les plus grosses, elles, résistent mieux. C'est le cas de la LPO, qui compte presque 400 salariés. Son directeur général, Yves Verilhac, constate une baisse pour l'ensemble des LPO locales de 434 000 euros de la part des régions en 2016 par rapport à 2015 avec «sans surprise Rhône-Alpes-Auvergne, Hauts-de-France et Paca en tête». Il pointe aussi une perte de 158 000 euros de la part des départements sur la même période. «On résiste assez bien grâce au privé, qui représente environ 60 % du budget de la LPO France (dons, legs, ventes en boutique, contrats et prestations)», explique Yves Verilhac, qui s'insurge contre le mot «subventions» : «Nous ne recevons plus aucune subvention de fonctionnement, cela s'est perdu dans les années 90. Nous sommes désormais uniquement sous contrats pour service rendu. On n'est pas sous perfusion, contrairement au monde de l'agriculture industrielle ou de la chasse.»

La LPO n'a pas encore été contrainte d'abandonner de missions ni de licencier. Mais d'autres structures sont déjà obligées de laisser tomber des projets. «La Frapna, par exemple, ne pourra plus s'occuper de qualité de l'air», illustre Sophie Fleckenstein. FNE s'alarme ainsi des menaces qui pèsent sur les missions d'intérêt général assurées par les associations : gestion des espaces naturels, sensibilisation et formation, renseignement de bases de données naturalistes, participation à moult commissions nationales et locales…

Les dégâts humains, eux, sont déjà bien concrets. La Frapna a dû supprimer 18 emplois sur 108, Bretagne Vivante 9 sur 63, Mirabel-FNE Lorraine 2, Alsace Nature 1. Et l'Office pour la protection des insectes et de leur environnement (Opie) est contraint depuis juin de mettre son équipe au chômage partiel… L'année 2017 risque fort d'être plus dure encore. Le syndicat des travailleurs associatifs Asso et l'union syndicale Solidaires se sont inquiétées début décembre des «menaces qui pèsent sur l'emploi des salarié(e)s des associations environnementales et d'éducation à l'environnement». «La disparition accélérée des aides publiques condamne l'emploi de plusieurs centaines de salarié(e)s et entre en contradiction avec les résolutions gouvernementales prises pour répondre à l'urgence climatique», écrivent-ils dans un communiqué commun. «Réduire les subventions d'une association d'utilité publique, c'est créer des chômeurs qui travaillaient pour le bien commun», s'alarme de son côté Bretagne Vivante, qui vient de lancer un appel aux adhésions et aux dons.

«Clivage». Les associations cogitent pour tenter de s'adapter au mieux à la nouvelle donne. «On se pose plein de questions, on se demande par exemple s'il ne faudrait pas tenter de faire davantage appel aux dons ou au mécénat, travailler différemment nos projets ou serrer les rangs avec d'autres milieux associatifs, notamment dans la culture, évoque Sophie Fleckenstein. En attendant, quand on peut, on fait appel aux bénévoles.» Mais tout ne pourra pas reposer sur ces derniers, aussi motivés soient-ils. Car la complexité croissante des activités des associations nécessitera toujours «un minimum de temps salarié, de frais de fonctionnement, de production d'outils, de déplacements, de locaux, de matériel», souligne FNE. «Le risque, c'est de perdre en expertise et de gagner en clivage : plus on tapera sur les associations, plus elles perdront de salariés, plus les bénévoles et les convaincus se radicaliseront», conclut Marie Fauvarque, directrice de Picardie Nature. Sans compter le risque qui pèse sur l'indépendance : «Imaginez si demain un aménageur vous dit, "je mets 300 000 euros au pot, mais vous ne parlerez pas de l'impact de mon projet sur les chauves-souris".» Pour elle, comme pour ses collègues, le financement public est aussi et surtout garant de la liberté d'action des associations environnementales.

L’Auvergne-Rhône-Alpes préfère les braves chasseurs aux écolos bobos

Coup de massue pour la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna), pilier régional de la «défense des biens communs (sol, air, vivant et eau)». Alors que la dernière convention signée avec le conseil régional prévoyait une participation de 771 000 euros annuels pour 2015-2017, celle-ci a été réduite de moitié en 2016. Décision du nouvel exécutif de Laurent Wauquiez (LR), qui a en revanche octroyé 3 millions d'euros sur trois ans à la Fédération régionale des chasseurs, désormais chargés de l'éducation à l'environnement… «C'est un rééquilibrage, ces derniers n'étaient pas pris en compte avant», justifie-t-on à la région. La Frapna déplore que l'exécutif «laisse tomber des pans entiers du champ d'actions nécessaire pour se prémunir des conséquences de l'intensification des activités humaines et du changement climatique». Et s'interroge : s'agit-il là d'une «récompense du soutien [des chasseurs] à la majorité actuelle pendant la campagne électorale» ? Pour certaines Frapna départementales, c'est la double peine. L'Ain ne verse plus un centime. En Isère, les financements ont été sabrés de 75 %. La Frapna, qui a déjà perdu 18 postes salariés sur 108 et craint d'en perdre encore dix en 2017, a lancé un appel aux dons sous le hashtag #AdopteUnBobo, référence à la caricature de «bobos des villes» qui lui a été affublée par un vice-président de la région. «Il s'agit de sanctions politiques», estime Céline Labracherie, directrice de Frapna Régions. L'association a bataillé en justice contre le projet de Center Parcs de Roybon (Isère) soutenu par... Laurent Wauquiez, qui lui a fait voter une subvention de 4,7 millions d'euros. Cette nouvelle année s'annonce tout aussi dévastatrice pour les associations environnementales de la région. «On restera sur les mêmes tendances, Laurent Wauquiez assume la réorientation politique et les rééquilibrages», dit un porte-parole de l'exécutif régional.

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