Homophobie

Une maire jugée pour avoir refusé de marier deux femmes

L’édile d’extrême droite de Bollène, Marie-Claude Bompard, comparaît ce jeudi pour avoir refusé d’unir deux homos en 2013. Pour ce procès qui constitue une première, le tribunal pourrait décider de faire un exemple.
par Aurore Coulaud
publié le 4 janvier 2017 à 21h06

L'affaire débute le 23 août 2013, jour qu'Angélique et Amandine espéraient être le plus beau de leur vie. Elles devaient s'unir à la mairie de Bollène (Vaucluse), commune de plus de 13 000 habitants ayant pour maire Marie-Claude Bompard, affiliée à la Ligue du Sud, parti d'extrême droite fondé avec son mari, Jacques, lui-même maire d'Orange. Sauf que l'édile refuse de célébrer leur union, demandant via un communiqué le respect de «sa liberté de conscience». Rappelée à l'ordre par le préfet, Marie-Claude Bompard avait maintenu sa position. «Les officiers d'état civil doivent appliquer la loi républicaine, rappelle aujourd'hui Me Caroline Mécary, défenseure des droits des homosexuels. Qu'est-ce qu'on dirait si un maire refusait de marier un couple mixte ou de confession musulmane ?»

S’estimant victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle, les deux femmes, finalement unies le jour J par un autre agent de la mairie sans délégation de la maire, avaient décidé de porter plainte auprès du parquet de Carpentras. La procédure avait alors été portée à la connaissance du procureur, qui avait décidé de classer le dossier.

Convictions religieuses

L'affaire aurait pu en rester là, mais c'était sans compter sur l'association Mousse, qui explique sur son site lutter «contre la discrimination et la provocation à la haine de personnes à raison de leur orientation sexuelle». Ayant eu vent de l'affaire, Mousse n'est entré en action que récemment, juste avant que le délai de prescription, qui est de trois ans en matière de délit pénal, n'expire. «Habituellement, la victime d'un délit homophobe doit donner son avis auprès de l'association, mais comme il s'agit d'une discrimination commise par un officier d'Etat, Mousse peut agir sans son aval», précise leur avocat, Etienne Deshoulières, qui œuvre ici à titre bénévole. De nouvelles poursuites sont alors entamées à l'encontre de Marie-Claude Bompard, citée le 5 août 2016 devant le tribunal correctionnel de Carpentras «du fait de son refus de marier un couple de femmes et de sa déclaration publique indiquant qu'elle ne marierait aucun couple homosexuel à l'avenir», indique alors Mousse. Lors de l'audience, prévue ce jeudi à 13 h 30, Angélique et Amandine ne seront pas représentées. Seule l'association s'est portée partie civile, même si «les deux femmes peuvent se constituer partie civile au dernier moment», signale Etienne Deshoulières.

Que risque Marie-Claude Bompard ? En 2015, Sabrina Hout, adjointe déléguée à la famille de Samia Ghali, maire PS du 8e secteur de Marseille, avait, elle, écopé de cinq mois de prison avec sursis pour avoir refusé de célébrer le mariage de deux femmes en août 2014. Ces dernières l'accusaient de discrimination en raison de leur orientation sexuelle, mais l'élue avait invoqué ses convictions religieuses. S'il s'agissait de la première affaire de discrimination depuis l'adoption de la loi sur le mariage pour tous en 2013, elle ne concernait pas le refus d'un maire. «Il y a le texte pénal [qui prévoit une peine de cinq ans d'emprisonnement maximum et de 75 000 euros d'amende, ndlr] et la peine que le juge appliquera», rappelle l'avocat de l'association. Selon lui, l'édile de Bollène ne devrait cependant pas écoper d'une telle sanction, mais probablement d'une amende et de dommages et intérêts à verser à l'association.

«Exceptions non représentatives»

«On aura une nouvelle condamnation. Ça aura vertu d'exemplarité et ça permettra de calmer les autres maires réticents au mariage homosexuel», juge de son côté Caroline Mécary. En attendant sa comparution, la prévenue est «sereine d'un point de vue judiciaire, mais trouve scandaleuse cette démarche de l'association, un vrai lobby de la cause LGBT, selon son directeur de cabinet, contacté par Libération. Elle ne regrette pas et lance un message d'appel à la résistance, quitte à être placée dans le camp des parias.»

Avec ces deux refus d'appliquer la loi ciblant des lesbiennes, faut-il en tirer des conclusions sur une discrimination spécifique envers les femmes homosexuelles ? «Les deux récalcitrantes, celle qui va être jugée et celle de Marseille en 2015, sont des exceptions non représentatives de l'ensemble des réactions des maires et des élus du territoire», souligne Martine Gross, chercheuse en sciences sociales au CNRS. «Autour de moi, j'ai les témoignages de plusieurs couples de femmes qui se sont tournées vers un maire dont elles connaissaient l'opinion défavorable au mariage des couples de même sexe et qui, malgré leur réticence, ont célébré l'union avec un beau discours.» La chercheuse souligne que «le mariage des personnes de même sexe ne cause plus vraiment d'états d'âme aux élus. Ils sont célébrés comme les autres mariages.»

Si les grandes villes telles que Paris, Rennes, Bordeaux, Montpellier ou Lyon arrivent en tête pour le pourcentage de mariages homos sur un an, on en célèbre aussi dans les communes de plus petite taille. Selon l’Insee, de mai 2013 à fin décembre 2014, plus de 6 500 communes en ont célébré au moins un.

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