Vote des ouvriers : à Saint-Quentin, Marine Le Pen en position de force

FAIT DU JOUR. Nous sommes allés à la rencontre de ces électeurs qui, par le passé, votaient massivement à gauche mais qui aujourd'hui sont désabusés et bien souvent indécis. Mélenchon, Le Pen, mais aussi Macron se partagent les intentions de vote des ouvriers. 

    À la sortie de l'entreprise, le froid sec saisit les ouvriers qui quittent à peine la fièvre des chaînes de montage. Sur le parking, peu jouent les prolongations. L'étendue glacée, au pied de l'imposante usine MBK de Saint-Quentin, n'incite pas à s'éterniser. Au pas de course, un grand gaillard rejoint sa voiture, les mains dans les poches. Interpellé, c'est sans se retourner qu'il lâche : « Je n'ai pas le temps pour vos questions, tout ce que je peux vous dire, c'est que je sais pour qui je vais voter : Marine Le Pen ! »

    L'usine qui produisait jadis la Bleue, légendaire mobylette de Motobécane à la fin des années 1950, roule désormais pour le groupe Yamaha. Alors qu'elle était sur le point de mettre la clé sous la porte dans les années 1980, le japonais y a localisé l'ensemble de sa production européenne. De quoi faire tourner à plein l'établissement. Désormais, plus de 80 % des véhicules produits sont destinés à l'export. Potentiellement, un plaidoyer contre les discours de déclin ambiants, qui ne convainc pourtant pas l'ensemble des salariés.

    « Les collègues parlent énormément de Marine Le Pen, reconnaît Olivier, élu CFTC, agent technique qualité depuis dix-sept ans chez MBK. Mais il faut pas croire, ils ne sont pas racistes pour autant. C'est surtout pour donner une bonne claque à ceux qui nous dirigent depuis cinquante ans. » Dans la salle de pause, les ouvriers parlent peu de politique malgré la quantité de tracts — en majorité de Lutte ouvrière — qui jonchent les tables. « On en discutait il y a quinze jours. Les gars disaient que ce serait comme en 2002. Que le FN serait au second tour, sauf que ce coup-ci, il gagnerait haut la main, relate Olivier. Franchement, ça ne m'étonnerait pas. »

    La classe ouvrière se sent abandonnée

    De l'autre côté de la rue, une autre usine se vide de ses ouvriers. Pas question d'industrie lourde chez Majuscule mais de fournitures de bureau. Qu'importe. Les témoignages se suivent et se ressemblent. « J'ai voté Marine Le Pen en 2012 et je recommencerai en 2017, assure Fred, contrôleur d'expédition de 35 ans. C'est la seule qui parle des vrais problèmes comme l'immigration ou le chômage. Cette fois-ci, elle a vraiment ses chances. Ça s'est bien passé aux Etats-Unis, pourquoi pas chez nous ? »

    « Eh bien, ça sera sans moi ! » tonne Véronique, 46 ans. Les yeux tirés, emmitouflée dans sa doudoune, elle aspire une dernière bouffée de cigarette avant de commencer son service de l'autre côté de la grille chez MBK. « Ils sont racistes au FN, la plupart de mes amis sont de couleur, je ne pourrai jamais faire ça, martèle-t-elle. Après c'est vrai qu'on ne les croit plus, qu'ils soient de droite ou de gauche. Ça fait deux ans que je cherche du boulot et que je ne trouve que des remplacements d'un mois ou deux mais ça ne débouche sur rien. A quoi bon aller voter ? J'ai beau regarder, aucun candidat ne m'inspire. »

    Comme la plupart de ses collègues, Véronique n'a pas suivi la primaire de la droite. Elle n'entend pas s'investir davantage pour celle de la gauche. « Ces primaires, c'est manipulation et compagnie, balaie Marie Lecouffe, 21 ans, monteuse depuis six mois chez MBK. Les politiques disent ce qu'on a envie d'entendre. Comme des moutons on y croit, puis une fois élus ils font ce qu'ils veulent. » De plus de dix ans son aîné, Noam Ramette, opine du chef. Il n'est pas loin de partager le même constat. La refiscalisation des heures supplémentaires, l'imbroglio du compte pénibilité comme l'âge de la retraite sans cesse repoussé sont autant de preuves d'abandon de la classe ouvrière par le politique. Il veut pourtant y croire : « C'est notre avenir qui est en jeu! Il faut s'y intéresser et aller voter. Mais pour trouver le candidat qui changera les choses, c'est pas gagné. »

    François, agent de maîtrise de 54 ans, met lui aussi un point d'honneur à aller voter. Il fera cet effort en avril prochain et poussera ses ouvriers à en faire autant : « Mais c'est de plus en plus difficile de convaincre les jeunes d'y aller. Je le vois avec mes propres filles, témoigne ce partisan du vote obligatoire. On nous parle sans cesse de majorité silencieuse mais elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même si on ne l'entend pas ! »

    QUESTION DU JOUR. L'Etat doit-il nationaliser les chantiers navals de Saint-Nazaire?