Eric Belile : pourquoi j'ai cédé mon entreprise à mes employés

FAIT DU JOUR. Eric Belile n'est pas un patron comme les autres. A 56 ans, il aurait pu vendre à très bon prix son entreprise à un investisseur. Mais pour sauver les emplois, il a préféré la céder à ses salariés. Il nous explique ses raisons. 

Dans son entreprise, Eric Belile a toujours défendu des valeurs humaines : «On a un management particulier basé sur la considération du personnel, l’honnêteté et l’humilité au travail.»
Dans son entreprise, Eric Belile a toujours défendu des valeurs humaines : «On a un management particulier basé sur la considération du personnel, l’honnêteté et l’humilité au travail.» SÉBASTIEN SALOM-GOMIS

    Agé de 56 ans, Eric Belile était à la tête d'une entreprise florissante de vente et maintenance de copieurs et autres outils de bureautique. Il nous explique son choix, altruiste et courageux, de ne pas la céder à un repreneur extérieur.

    Comment avez-vous eu l'idée de vendre votre entreprise aux salariés ?
    Éric Belile.
    Le déclic, c'est lorsque j'ai été approché par plusieurs personnes, des concurrents ou des investisseurs qui proposaient de racheter la société. Plus les discussions avançaient, plus les sommes grimpaient. On parle de 10 à 12 M€. A ce niveau-là, on arrête de rigoler. J'ai réfléchi et, après plusieurs jours, je me suis dit : « J'en parle aux cadres. » Je voulais leur proposer de reprendre l'entreprise pour éviter la casse sociale.

    Vous saviez que cette vente serait synonyme de licenciements ?
    Quand on rachète une boîte, on cherche une rentabilité rapide. La première chose que l'on fait, c'est la chasse aux doublons. Je savais qu'un tiers du personnel serait viré et que moi, je partirais avec un gros chèque. Ça voulait dire aussi que toutes les valeurs que nous avons créées depuis trente ans allaient disparaître.

    Ces valeurs, quelles sont-elles ?
    S'il y avait un délégué du personnel, je crois vraiment que ce serait moi ! Ici, on a un management particulier basé sur la considération du personnel, l'honnêteté et l'humilité au travail. Nous avons tous des rapports sains, sans management à la «schlague». Personne n'a peur de ne pas atteindre son objectif. C'est d'ailleurs pour ça, je pense, que les commerciaux se démènent en fin de mois pour atteindre leur chiffre. Quand vous donnez de la considération aux gens, ils vous le rendent ! Mais attention, nous demandons de la rigueur et de l'excellence. Ici, ce n'est pas le Club Med, en tout cas dans la journée parce que si vous venez un soir, vous risquez d'être surpris : on rigole !

    Comment les salariés ont-ils réagi quand vous leur avez annoncé la nouvelle ?
    Nous avons fait ça lors des 25 ans de l'entreprise. Nous étions tous partis trois jours dans le Sahara. Le soir, nous avons fait une grande nouba et je me suis adressé à tout le monde en leur disant que j'avais quelque chose d'important à annoncer. J'ai vu les visages devenir grave. Je leur ai dit que c'était une bonne nouvelle, que le groupe allait perdurer comme il a toujours existé, que certains cadres allaient racheter l'entreprise. Il y a eu un petit moment de flottement. Il y a des gens qui ont pleuré. C'était un moment un peu fou.

    Cette décision vous coûte tout de même de l'argent, ça ne vous arrête pas ?
    C'est vrai que j'aurais pu vendre deux ou trois fois plus cher. Pour accepter de prêter de l'argent aux salariés, les banques ont exigé que je m'investisse également financièrement. J'ai dû injecter de ma poche 1,75 M€. Je ne toucherai pas de dividendes pendant la durée du prêt qui est de sept ans. Mais aujourd'hui, ça fonctionne et je peux vous dire que c'est génial : j'aurai été au bout de mon idée.

    Vous avez créé cette entreprise tout seul. Est-ce pour cela que ne vouliez pas voir son âme disparaître?
    Je suis arrivé en France en 1963 au moment où sévissait le Front Polisario au sud du Maroc. Mon père venait de se faire assassiner. J'ai fait mes études ici, un master d'éco et je suis rentré chez Canon ou j'ai progressé rapidement. Mais le management, dans cette entreprise, ce n'était pas vraiment mon truc, c'était très rigide, pas très humain. A 29 ans, alors que l'on me promettait une carrière européenne, j'ai monté ma boîte. J'ai commencé dans une cave de l'île de Nantes. C'était un investissement lourd et je n'avais pas un kopeck. Aucune banque ne m'a suivi mais j'ai commencé à prospecter et fait ma première vente au bout de quinze jours. Il fallait vraiment que je travaille beaucoup et je l'ai fait.