Pourquoi le gouvernement turc a-t-il démis autant de ses gradés dans la structure de l’Otan?
Limogés par Erdogan, près de 100 officiers turcs rattachés à l'Otan demandent l’asile à la Belgique. Mais pourquoi ce limogeage massif? Explications.
- Publié le 07-01-2017 à 07h49
- Mis à jour le 07-01-2017 à 08h06
Limogés par Erdogan, près de 100 officiers turcs rattachés à l'Otan demandent l’asile à la Belgique. Mais pourquoi ce limogeage massif? Explications.
Le coup d’Etat tenté dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016 par une fraction des forces armées turques a fait 290 morts, endommagé le parlement à Ankara, failli abattre l’avion d’Erdogan et a été suivi d’une purge impressionnante non seulement dans l’armée, mais aussi dans la police, la justice et l’enseignement.
Pourquoi le gouvernement turc a-t-il démis autant de ses gradés dans la structure de l’Otan ? Pour ce colonel limogé, la raison est que "nous sommes pour la plupart diplômés, laïcs, versés dans le monde occidental et que nous ne partageons pas la vision d’Erdogan d’une Turquie qui passe de l’Otan à Shanghai Five (le groupe de coopération asiatique, NdlR), des Etats-Unis à la Russie".
Tout le monde ne partage pas à l’Otan cette analyse. Le rapprochement opéré entre M. Erdogan et le président russe Vladimir Poutine procède plus d’un rééquilibrage des relations de la Turquie avec l’encombrante Russie que d’un détachement de son ancrage dans le monde occidental. Pour des raisons géostratégiques, liées notamment à la Syrie, et économiques, la Turquie a besoin de la Russie, comme la Russie a besoin de la Turquie. "Ceci est plutôt un re tour à la situation normale après une période de conflit", estime-t-on dans les milieux atlantiques.
Néanmoins, l’Otan juge très préoccupante la situation de la Turquie. Son armée est la deuxième au sein de l’Otan après celle des Etats-Unis. Elle joue un rôle crucial aux frontières de l’Alliance avec des pays comme l’Irak, la Syrie et l’Iran. Enfin, elle contrôle aussi le détroit du Bosphore par lequel passent les navires russes descendant de la mer Noire.
Des officiers "talentueux"
Le limogeage de dizaines de cadres militaires turcs a eu un impact sur les structures de l’Otan, car ceux qui les remplacent n’ont aucune expérience.
Les officiers démis "ont bien servi à l’Otan", affirmait le 7 décembre le général américain Curtis Scaparrotti, commandant suprême des forces alliées en Europe. "J’avais des gens talentueux, capables et je vois une dégradation en raison de la perte de la compétence, de l’expertise et du travail qu’ils produisaient."
Le Commandement allié Transformation, dans la base navale de Norfolk en Virginie, a été impacté par la purge turque, mais pas les missions opérationnelles de l’Alliance.
Et puis se pose une question de fond : comment gérer un pays membre dont on peut se demander s’il respecte encore les principes "de démocratie, de libertés individuelles et du règne du droit" qui sont coulés dans le traité fondateur de l’Alliance de 1949 ? Plusieurs observateurs, turcs et étrangers, estiment que le président Erdogan, habitué des propos incendiaires, a cherché à créer un chaos dans le pays pour prouver qu’il peut y remettre de l’ordre et être à même de faire passer une réforme constitutionnelle dans quelques mois. "Après cette réforme, on peut espérer que les choses vont se calmer", soupire un diplomate.
A moins que le président turc ne soit allé trop loin et ait fini par enflammer un pays où les dérives verbales sont de plus en plus grandes. Il ne se passe plus un jour sans qu’une manœuvre d’intimidation ne soit dénoncée. Jeudi, le conseiller juridique en chef de la holding Dogan - un puissant groupe détenant le quotidien laïc "Hürriyet" et la chaîne de télévision CNN Türk - a été détenu et perquisitionné sans raison apparente. "Sa détention est une intimidation" par le pouvoir politique, a tonné le Barreau d’Istanbul.