Fraude : ils roulent pour Uber au black

De nombreux chauffeurs de VTC de la célèbre plate-forme, que nous avons rencontrés, se plaignent de ne pas gagner suffisamment pour s'en sortir. Certains, en toute illégalité, ont cessé de déclarer leurs revenus.

Pour gagner sa vie décemment comme chauffeur VTC, Antoine avait cessé de déclarer son activité et ses revenus. Il accuse la compagnie Uber de mettre les chauffeurs dans une impasse financière.
Pour gagner sa vie décemment comme chauffeur VTC, Antoine avait cessé de déclarer son activité et ses revenus. Il accuse la compagnie Uber de mettre les chauffeurs dans une impasse financière. (LP/Yann Foreix.)

    Les huissiers défilent chez Antoine*. Télé, canapé, meubles... Depuis quelques semaines, petit à petit, au gré des saisies, sa vie sociale s'évanouit. Ce sont aujourd'hui les banques qui se remboursent. Demain, dans quelques jours, il le sait, le fisc et les Urssaf taperont, à leur tour, à sa porte. Car ce chauffeur francilien de VTC (véhicule de transport avec chauffeur) a joué avec le feu. « J'ai travaillé pendant quatre ans pour Uber. Mais, de l'été 2015 au printemps 2016, au moment où j'ai été pris en faute, je n'ai déclaré aucune activité au fisc et aux Urssaf. Rien du tout, alors que je continuais de conduire douze heures par jour », raconte ce jeune Francilien.

    Lorsque les clients payaient leur course sur l'application Uber, cette plate-forme lui reversait la somme, amputée d'une commission de 20 %. Antoine, lui, installé comme autoentrepreneur, ne déclarait de son côté aucune activité aux autorités. En croisant les doigts pour ne pas avoir de contrôle. Une technique qui, selon Antoine, est très répandue chez les chauffeurs d'Uber. Carburant, location des rutilantes berlines, entretien... « Les charges fixes étaient trop importantes. Les prix pratiqués par Uber ne me permettaient pas de travailler en étant déclaré », raconte-t-il.

    Des prix écrasés

    Notamment depuis une baisse de prix qui a eu lieu en fin d'année dernière. « Avant, une bonne journée, je pouvais faire 250 € de chiffre d'affaires. Depuis la baisse de prix, pour le même travail, je ne touchais plus que 150 € », souligne ainsi Antoine, qui fait le décompte : « Enlevez les 20 % de commission pris par Uber, soit 30 €, puis 90 € de frais fixes directement liés à la voiture. Il reste au final 30 €. » Insuffisant pour manger, payer les dépenses de la vie quotidienne (loyer, etc.) et... une trentaine d'euros de charges sociales. Il s'est donc arrangé avec ces dernières. Avant de sombrer.

    De nombreux chauffeurs de VTC connaissent cet engrenage. « La course minimum est passée de 8 à 5 € à l'automne 2015, cela a déséquilibré tout mon business plan », témoigne un autre jeune Francilien. Du coup, lui aussi s'exonère du paiement des cotisations sociales. « Je continue, pour l'instant, à travailler pour Uber, car je dois rembourser des emprunts contractés auprès de ma famille. Une fois que ce sera fait, j'arrête tout ! » promet-il. Trop dangereux et, surtout, ruineux en cas de contrôle. « Si les Urssaf et le fisc me tombent dessus, je leur dirai la vérité : je fraude, car je n'ai plus les moyens de payer mes impôts et mes charges », assure-t-il. Des témoignages isolés ? « Un autoentrepreneur VTC ne peut pas réaliser plus de 32 600 EUR de chiffre d'affaires, une fois déduits les commissions de 8 000 EUR et les autres frais, il gagne, en net, 600 EUR par mois », déplore, de son côté, Laurent Grandguillaume, député PS de la Côte-d'Or, auteur d'un rapport sur les VTC. Et d'ajouter : « Le modèle économique de ces plates-formes ne permet pas aux chauffeurs de vivre décemment. Il y a un vrai phénomène de paupérisation qui amène certains à ce genre de pratiques. »

    Du côté d'Uber, on exprime uniquement de l'étonnement et de l'incompréhension. « Les 12 000 partenaires chauffeurs d'Uber exercent en qualité de prestataires indépendants. Ils sont tenus de déclarer leurs revenus », explique un porte-parole français de l'entreprise américaine. La logique économique d'Uber ne les conduit pas à de telles extrémités, notamment depuis la baisse de ses tarifs il y a un peu moins d'un an. « Les prix plus bas ont attiré plus de passagers. Pour les chauffeurs, cela signifie moins de temps d'attente et d'approche entre deux courses », assure un porte-parole en France de la société. Donc, plus de revenus.

    S'appuyant sur une étude de deux économistes, Uber assure que le chiffre d'affaires horaire brut moyen par chauffeur est de 19,90 € par heure. A en croire le porte-parole de l'entreprise, « une fois les charges retirées, il reste au chauffeur environ 10 € net par heure ».

    *Le prénom a été changé.