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Ethnologie

Des photos magiques de tribus amérindiennes qui font polémique

Lors d’un survol en hélicoptère de l'Etat de l'Acre au Brésil, le photographe Ricardo Stuckert a aperçu et pris des clichés d'une communauté indienne isolée. Si les photos sont magnifiques, l'initiative soulève quelques polémiques. 

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Une tribu amérindienne prise en photo dans l’état brésilien de l’Acre, près de la frontière avec le Pérou

Les "Indiens isolés du cours supérieur de la rivière Humaitá", photographiés par Ricardo Stuckert le 18 décembre 2016 dans l’état brésilien de l’Acre, près de la frontière avec le Pérou. 

©Ricardo Stuckert

Une nouvelle fois, un groupe amérindien vivant dans les profondeurs de la forêt amazonienne a été sous les "feux des médias" en décembre 2016. Lors d’un survol en hélicoptère d'une région de l'Etat de l'Acre au Brésil, à proximité de la frontière péruvienne, le photographe Ricardo Stuckert (ancien photographe officiel du président Lula) a aperçu et photographié les membres d’une "tribu isolée". Les images ont été relayées par la revue National Geographic, dans laquelle le photographe y témoignait son ressenti : « J’ai eu l’impression d’être un peintre au siècle dernier. Penser qu’au XXIe siècle, il y a encore des gens qui n’ont aucun contact avec la civilisation, qui vivent comme leurs ancêtres le faisaient 20 000 ans plus tôt, c’est incroyablement émouvant », peut-on lire.

Tout aussi enthousiaste, José Carlos Meirelles, ancien expert de la FUNAI (département des affaires indigènes du Brésil depuis 1987), qui étudie les tribus indigènes du Brésil depuis plus de 40 ans, s'émerveillait, selon les propos retranscrits dans la revue, de certaines découvertes capillaires : "Nous pensions que tous avaient la même coupe de cheveux. Or, c'est faux, on voit que les coupes peuvent être différentes. Certains ont un style très punk". Selon cet expert, ces "indiens isolés du cours supérieur de la rivière Humaitá" seraient les mêmes que ceux ayant fait l'objet de précédentes photos très médiatisées entre 2008 et 2011

Un membre de la communauté pris en photo le 18 décembre 2016 © Ricardo Stuckert

"A une certaine époque, l'existence même de ces tribus était reniée par les Gouvernements, notamment par le président du Pérou Alan García"

Les photos sont effectivement magiques... mais font polémique. Dans un communiqué en portugais du 23 décembre 2016, la propre fondation où a travaillé cet expert, la FUNAI, reprochait cette mise en exposition publique"Une tempête dans un verre d'eau, a répliqué José Carlos Meirelles à France Info. Les vols d'avion restent quelque chose de bizarre pour les Indiens, ça reste une forme d'invasion, je le sais. Mais si on ne faisait absolument rien, ces tribus pourraient disparaître complètement et on n'en saurait jamais rien." 

Sarah Shenker, qui travaille pour l'ONG Survival International - mouvement mondial pour les droits des peuples autochtones - est plus nuancée. Elle admet une évolution dans la perception des groupes indigènes "grâce aux photos", en particulier ceux dits "isolés" :  "A une certaine époque, l'existence même de ces tribus était reniée par les Gouvernements, notamment par le président du Pérou Alan García affirmant qu’il s’agissait d’une invention de la part des ONG visant à empêcher le Pérou d’obtenir des concessions pétrolières et forestières. Nous nous sommes rendus compte que le moyen le plus efficace était la pression de l’opinion publique internationale en leur faveur. Nous avons donc beaucoup utilisé les photos dans ce but. Il en est de même pour les clichés en 2008 et le film de la BBC en 2011 qui ont fait le tour du monde pour alerter sur les nombreuses menaces qui les entouraient en toute indifférence : exploitants forestiers illégaux, chercheurs d’or, trafiquants de drogue. Cette diffusion massive a été suivie d'actions concrètes, notamment la signature d'un accord de coopération en le Pérou et le Brésil pour protéger le territoire des Indiens isolés de cette zone en mars 2014" 

"Communautés isolées" ne veut pas dire inconnues ou inchangées

En revanche, la représentante de l'ONG est très sceptique sur les intentions du photographe le 18 décembre 2016. Selon elle, les propos recueillis de ce dernier s'inscrivent trop dans le sensationnel et sont même pour certains erronés : "Leurs ancêtres ne vivaient certainement pas de cette manière 20 000 ans plus tôt, puisque déjà ils n'étaient pas présents en Amazonie à cette époque. Et "communautés isolées" ne veut pas dire qu’elles demeurent "inconnues" ou "inchangées". La plupart sont déjà connues et quel que soit leur degré d’isolement, elles s’adaptent en permanence à l’évolution de leur environnement. Cette vision caricaturale et fausse ne sert pas du tout leur cause et leurs intérêts. De toute façon, dans la mesure où ces personnes prises en photo n'ont pas l'opportunité de donner leur avis elles-mêmes, nous sommes mal à l'aise avec le but recherché de ces clichés". 

Et ce groupe n'est peut-être pas si isolé puisque sur un cliché, on voit un homme avec un sabre à lame de métal et la clairière pour leur maloca (grande maison communautaire) a été ouverte au sabre d'abattis ou à la hache...

Un homme avec un sabre à lame de métal © Ricardo Stuckert

Stop au PEC 215 grâce aux photos?

Mais José Carlos Meirelles a-t-il raison ? Ces communautés pourraient-elles disparaitre en silence ? Un amendement à la Constitution brésilienne, le PEC 215, est actuellement soumis au débat du Congrès brésilien. "S’il était approuvé, il donnerait à ses membres, dont nombre d’entre eux sont des politiciens anti-Indiens liés au puissant secteur de l’industrie agroalimentaire, le pouvoir de décision final sur la reconnaissance des territoires indigènes. Cela ferait reculer les droits des Indiens acquis il y a de nombreuses années et un désastre pour des groupes dont les territoires n’ont été que partiellement reconnus", alerte Sarah Shenker. Une autre mesure qui vient d'être votée est la réduction drastique du budget de la FUNAI, qui est pour le moment la seule responsable de la démarcation et de la reconnaissance des territoires indigènes et dont la politique consiste à n’établir le contact que dans les cas où leur survie immédiate est incertaine. Mais pas besoin de photos pour sensibiliser l'opinion publique, l'ONG appelle à envoyer des emails aux présidents du Sénat fédéral et à la chambre des députés pour les inciter à rejeter cet amendement. 9 568 emails ont déjà été adressés sur les 10 000 sollicités au moment où nous rédigeons ces lignes. Et c'est indirectement grâce aux photos de Ricardo Stuckert que ce message est relayé... 

Zone aménagée par la tribu prise en photo le 18 décembre 2016 ©Ricardo Stuckert

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