Eleni Mavrou, ancienne et première maire de Nicosie, capitale européenne divisée, est dubitative : « Ce n’est pas que nous ne croyions pas aux négociations et à la réunification, mais nous sommes réservés », dit-elle alors que des pourparlers reprennent lundi 9 janvier à Genève.

Il y a d’un côté les Chypriotes turcs, enfermés dans une « République Turque de Chypre du Nord » (RTCN), créée dans la foulée de l’invasion militaire turque de 1974 – qui répondait à une tentative de coup d’État des colonels grecs visant à rattacher Chypre à la Grèce. Et de l’autre, la République chypriote, seule représentante légale du pays, membre de l’Union européenne.

« C’est le moment ou jamais de réunifier le pays »

Pendant longtemps, Eleni Mavrou a eu son bureau face à la rue Ledra, la plus commerçante de Nicosie, la capitale, et le point de passage central entre le nord et le sud de l’île, hermétiquement séparés pendant près de 40 ans. Elle a vu augmenter le flux des visites.

« La peur de l’autre est partie », lâche-t-elle. « On les voit aller et venir comme n’importe quels touristes. C’est le moment ou jamais de réunifier le pays. On s’est apprivoisés, mais on redoute d’être déçus. »

« On n’a jamais été aussi prêts du but ! », clame Christakis, propriétaire d’un petit restaurant près de la ligne de démarcation, qui sert les meilleures « cheftelies » – boulettes de viande à la coriandre. Ce réfugié originaire de Kyrenia, ville portuaire chypriote grecque avant l’invasion, désormais sous contrôle militaire turc, n’a pas attendu les négociations pour amorcer la réconciliation. Son serveur, Nervan, vient tous les jours à vélo de Kyrenia et repart le soir avec ses cheftelies pour sa famille.

La question du retour des réfugiés

En 2004, lors du référendum sur le plan de réunification proposé par l’ONU, Christakis militait activement pour le oui. Massivement accepté au nord, ce plan fut rejeté au sud. « Il y en a que cette partition arrange », grogne-t-il. « Il faut se faire une raison. On ne revivra plus jamais la situation d’avant 1974. Il faut construire autre chose et le faire maintenant. »

En 2004, le plan de Kofi Annan avait rebuté les Chypriotes grecs en raison de la question du retour des réfugiés : 200 000 Chypriotes grecs avaient dû fuir l’avancée des troupes turques en abandonnant tout sur place. Leurs maisons sont occupées par des Chypriotes turcs qui eux, avaient quitté, souvent sur ordre d’Ankara, leurs maisons au sud, un an après.

Qui va pouvoir rentrer, et où ? Sous quelle juridiction ? Quid des maisons détruites ? Quid des propriétés vendues à des touristes anglais, français et autres, alors qu’elles appartenaient à des Chypriotes grecs ?

Les colons d’Anatolie posent problème

Les Chypriotes turcs, qui redoutent de se voir envahir par les Chypriotes grecs, supérieurs en nombre, veulent limiter au maximum leur retour au nord. Inversement, le gouvernement chypriote grec veut que tous ceux qui souhaitent rentrer chez eux puissent le faire, ou bien soient dédommagés. Mais qui payera ? Nicosie se remet péniblement d’une crise financière et les caisses sont vides.

Enfin, la question des colons d’Anatolie amenés massivement dans le passé pour inverser la courbe démographique pose toujours problème. Du temps de la prospérité, les Chypriotes grecs se disaient prêts à financer leur retour en Turquie. Plus maintenant.

Pourtant tous les Chypriotes s’accordent sur le fait qu’ils doivent partir. « Nous, Chypriotes turcs, on n’a rien en commun avec eux. On est Européen, pas eux », tonne Mehmet Biran, avocat à Nicosie-Nord. De sources proches des négociations, ces problèmes pourraient être dépassés.

Reste celui concernant les garanties de sécurité : la Grèce, le Royaume-Uni (ancienne puissance coloniale) et la Turquie sont les puissances garantes de Chypre. Si Athènes et Londres sont prêts à abandonner ce rôle, Ankara exige de le maintenir. Selon un dernier sondage, 90 % des Chypriotes turcs veulent que les militaires turcs restent, alors que pour 85 % des Chypriotes grecs, il en est hors de question.

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repères

Les grandes lignes d’un plan de paix

Une future solution de paix prévoit la création d’un État fédéral composé de deux entités, l’une chypriote grecque (sud) et l’autre chypriote turque (nord).

Une partie des territoires occupés par l’armée turque et l’autoproclamée République turque de Chypre du Nord depuis 1974 serait rétrocédée aux Chypriotes grecs.

Tout accord de paix sera soumis à un référendum de chaque côté de l’île.

Les deux dirigeants turc et grec se sont engagés à présenter le 11 janvier des cartes sur le partage territorial des deux entités, condition pour la tenue du sommet le 12 janvier entre les puissances garantes de la sécurité de l’île : la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale.