Favoriser les riches, est-ce bon pour les pauvres?

Manifestation organisée par une entreprise de luxe à la Havane en mai 2016 ©Maxppp - Diana Mrazikova
Manifestation organisée par une entreprise de luxe à la Havane en mai 2016 ©Maxppp - Diana Mrazikova
Manifestation organisée par une entreprise de luxe à la Havane en mai 2016 ©Maxppp - Diana Mrazikova
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Les inégalités de revenu et de patrimoine n'ont jamais été aussi élevées depuis 20 ans. Moindre en France du fait d'une redistribution plus forte, ce phénomène remet en cause la théorie du ruissellement "Trickle down Economic", qui veut que favoriser les riches est bon pour les pauvres.

En anglais on appelle cela Trickle Down Economic, et effectivement c'est l'idée que la richesse telle une source se divise en multiples petites rigoles et ruisselle jusqu'en bas, permettant à TOUS de profiter de la richesse créée en haut, y compris les plus pauvres. C'est une théorie libérale, elle suppute en gros que plus les riches sont riches, moins les pauvres sont pauvres.

Cette théorie a du plomb dans l'aile quand on observe les faits, mais elle continue à avoir ses partisans, comme l'illustre cet éditorial publié par le Temps, tout récemment: Les riches boucs émissaires du populisme.

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La politique de réduction d’impôt pour les plus riches que veut mener Donald Trump aux Etats Unis en découle… de même que les programmes de nombreux candidats à la présidentielle française, quand ils disent avoir pour objectif de réduire le chômage, les inégalités et in fine la pauvreté en favorisant la création de richesse, réduisant les taxes et les impots sur les entreprises et les plus aisés.

Présentée comme cela, vous comprenez que la théorie du ruissellement est une sous partie de la théorie de l'offre et qu'elle va donc implicitement marquer les débats de ces prochains mois en France.

Une théorie qui ne se vérifie pas…

Difficile de trouver des études qui valident la théorie du ruissellement. La période Reagan est une belle période pour étudier ce phénomène, mais comme, en plus des baisses d’impôts sur les plus riches, il y a eu une augmentation massive de la dépense publique, et la baisse vertigineuse des taux directeurs de la Fed, difficile d'isoler le seul facteur de baisse d’impôts des plus riches.

Des chercheurs de Harvard ont étudié en 2009 la corrélation entre la baisse d’impôt pour les plus riches et la croissance dans 12 pays, dont la France entre 1905 et 2000… Avant 1960, il n'y a aucun lien selon eux, et après, ils trouvent un lien, mais il faut attendre 13 ans, avant que les 90% du dessous profitent du surplus de croissance liée à la baisse des taxes. Le ruissellement prendrait donc 13 ans, MAIS si dans les 13 ans, il y a une crise ou une dépression, là c'est perdu nous explique cette étude (NDLR, elle n'est plus disponible en ligne aujourd'hui en 2020 mais un site démocrate y fait référence dans cet article de 2017).

Autre analyse qui dément la théorie du ruissellement, celle que l'OCDE a publié cet automne sur les 35 pays les plus développés de la planète. L'étude montre que les inégalités de revenu sont à des niveaux historiques, depuis 30 ans que les données existent, et plus intéressant encore, que la légère reprise de croissance de ces 3 dernières années profite plus aux ménages les plus aisés…

Les 10% les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 2.3% et les moins aisés de 1,1%. C'est moins vrai en France, note l'OCDE car les impots des plus riches ont été augmentés, et les prestations sociales revalorisées, mais la tendance est la même. Les inégalités augmentent, et la croissance accroît ces inégalités.

Si on regarde sur une plus longue période, en 30 ans les 1% les plus riches ont captés 50% de la création de richesse aux USA, 20% en Grande Bretagne, et 10% en France, selon des chiffres communiqués par l'OCDE.

… y compris selon l'OCDE et le FMI

Le FMI partage le constat de l'OCDE. Comme l'OCDE, on ne peut pas soupçonner le FMI d'avoir un agenda marxiste caché. Dans un rapport en 2015, le FMI l'écrit noir sur blanc: quand les riches sont plus riches, les bénéfices ne ruissellent pas et la croissance est moindre que si on favorise les pauvres et les classes moyennes.

We find that increasing the income share of the poor and the middle class actually increases growth while a rising income share of the top 20 percent results in lower growth—that is, when the rich get richer, benefits do not trickle down.

Pourquoi la croissance ruisselle moins

De fait, les riches ont une propension plus forte à épargner, et certains ont tendance à placer cette épargne dans des paradis fiscaux pour la soustraire au fisc, à la redistribution… et donc au ruissellement.

L'autre explication, c'est que la reprise créée des emplois de mauvaise qualité, et s'accompagne d'une modération salariale généralisée. ll y a d'ailleurs un lien entre montée des inégalités et syndicalisme.

Depuis quelques années, le FMI, le Bureau International du Travail et l'OCDE cherchent à pousser le concept d'INCLUSIVE GROWTH, croissance inclusive qui prône la création d'emploi de bonne qualité et bien payés, met l'accent sur la formation, l'éducation, et les politiques de redistribution des revenus.

Le sujet a été abordé pour la première fois par le G20, les pays les plus puissants de la planète cet été. C'était directement lié au Brexit. Il n'y a pas encore d'étude pour dire combien de temps cette idée mettra à ruisseler à contre-courant de l'apesanteur jusqu'en haut pour se traduire dans les politiques économiques et devenir une réalité.

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