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Cédric Klapisch : «Les inscriptions en Erasmus ont doublé après L'Auberge espagnole»

L'Auberge espagnole de Cédric Klapisch, film de 2002, avec Romain Duris, Kelly Reilly, Federico D'Anna, Cécile De France, Barnaby Metschurat, Cristina Brondo, Christian Pagh. Everett/©Rue des Archives/BCA

ENTRETIEN - Le célèbre programme d'échanges d'étudiants et de professeurs entre grandes écoles et universités européennes a été créé le 9 janvier 1987. À l'occasion de cet anniversaire, le réalisateur revient sur l'évolution de ce programme que son cinquième long-métrage a considérablement popularisé.

Fondé en 1987, le célèbre programme européen Erasmus fête ce lundi 9 janvier ses 30 ans. L'âge de raison? En trois décennies, le projet lancé par Jacques Delors aura permis à plus de trois millions de jeunes (dont 622.000 Français) de voyager, d'étudier - un peu - de batifoler - beaucoup! Daté de 2014, un rapport très sérieux de la Commission Européenne estime que près d'un million de bébés seraient nés de couples Erasmus depuis 1987. Symbole de ce multiculturalisme délicieusement bohème, L'Auberge espagnole, film culte du réalisateur Cédric Klapisch, fête de son côté ses quinze ans. Mais depuis l'époque où le jeune Xavier (Romain Duris) promenait son insolente nonchalance dans les rues de Barcelone, l'Europe a vécu une crise économique majeure, l'augmentation du chômage des jeunes, les attentats à répétition et le Brexit. L'heure est-elle toujours à l'insouciance pour la «génération Erasmus»? Le Figaro a posé la question à Cédric Klapisch.

LE FIGARO - Comment expliquez-vous que votre film, sorti en 2002, soit devenu un symbole du programme Erasmus?

CÉDRIC KLAPISCH - Je pense que cela tient essentiellement au fait que, comme pour tous mes autres longs-métrages, je me suis énormément renseigné avant de l'écrire. J'ai rencontré beaucoup d'étudiants ayant fait l'expérience du programme, et tenté de retranscrire au mieux les petits détails de leur vie quotidienne, les tracasseries administratives qu'ils avaient pu connaître, bref de coller à la réalité de leur vie durant cette année. Du coup, quel que soit le pays concerné, il y a eu une vraie identification. Au final, mon film a fait la pub d'Erasmus, ce que je n'avais pas du tout prévu. Les inscriptions au programme ont même doublé après la sortie de L'Auberge espagnole!

« À ce jour, le programme Erasmus est la seule réussite de l'Union européenne. »

Cédric Klapisch

Pourquoi ce programme continue, selon vous, d'être une réussite?

Erasmus, c'est l'ailleurs avec un grand «a», c'est se confronter en permanence à ce qui est différent, à la diversité des points de vue. Selon moi, il s'agit d'une étape indispensable pour toute éducation digne de ce nom. Et 25 ans (l'âge de Xavier, le personnage principal du film, NDLR), c'est l'âge idéal pour faire cette expérience! D'ailleurs, parmi tous les témoignages que j'ai pu recueillir, personne ne s'est jamais dit déçu de son année d'Erasmus. Au contraire!

Pourriez-vous faire le même film aujourd'hui, représenter le projet européen de manière identique?

Certainement pas. Les choses ont radicalement changé en 15 ans. En 2000, l'Europe était encore tournée vers l'avenir et le projet européen en construction. J'avais d'ailleurs conçu le personnage de Xavier comme un symbole de cette Europe innocente et pleine d'espoir. Au tout début des années 2000, l'Union européenne était encore dominée par la logique de l'après-guerre, celle qui avait poussé à sa création: tendre vers un objectif de paix, réconcilier les nations, solidifier les relations entre l'Europe et l'Allemagne.

Aujourd'hui, l'heure n'est plus au projet mais à la désillusion. Il y a eu la crise économique, d'abord, et puis la crise migratoire et la résurgence de conflits, en Ukraine notamment. La Grèce ou l'Espagne sont pour moi les symboles de ce désenchantement. En 2000, les deux pays symbolisaient le renouveau de l'Union Européenne, ils étaient en plein boom économique, très loin de leur situation actuelle. Au final, l'Europe n'a fait qu'accumuler des normes qui ont été imposées aux états sans prendre en compte les particularismes nationaux. À mon sens, le programme Erasmus est à ce jour la seule réussite de l'Union européenne.

« Le personnage de Xavier était le symbole d‘une Union Européenne en construction, innocente et pleine d'espoir. »

Cédric Klapisch

Tous ces éléments ont contribué à rendre la nouvelle génération bien plus suspicieuse à l'égard de l'idée européenne. S'il devait y avoir une deuxième Auberge espagnole aujourd'hui, il s'y ajouterait forcément quelque chose de beaucoup plus dur, de très éloigné de l'insouciance de Xavier et de ses amis.

Dans Le Péril jeune (1994) , vous brossiez le portrait de la jeunesse des Seventies. Dans L'Auberge espagnole, celui de la génération des années 2000... Qu'est ce qui caractérise, selon vous, la génération qui vient?

J'ai pour habitude de dire que la saga de Xavier représentait l'ère de la mobilité. Mes trois films tentaient de retranscrire cette nouvelle forme de mobilité, absolue, permise à la fois par Erasmus, dans L'Auberge Espagnole, par les vols ou trains low-cost dans Les Poupées russes (2005), par internet dans Casse-tête chinois (2013).

Aujourd'hui, il faudrait pouvoir brosser le portrait d'une génération née avec ce bouleversement, celle de «l'après» internet. Cette jeunesse «post-Auberge espagnole», celle qu'on dit en général «connectée», est extrêmement réactive. Elle vit dans une forme d'instantanéité permanente, en immersion totale dans les réseaux sociaux. Je n'ai pas le sentiment que cette nouvelle forme de mobilité soit aussi positive qu'il y a une quinzaine d'années. Nous sommes passés à l'ère du selfie, d'une virtualité tournée essentiellement vers nous-mêmes.

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