Antiterrorisme : les échecs du renseignement français

Dans un ouvrage à paraître mercredi, les journalistes Christophe Dubois et Eric Pelletier nous plongent dans les arcanes du monde du renseignement, mettant en lumière ses failles.

    Qu'on parle de failles — pour les plus critiques — ou d'erreurs — pour les plus indulgents —, la vague d'attentats sanglants à laquelle la France a été confrontée ces dernières années est l'expression d'un échec. Les morts de « Charlie », les victimes du Bataclan et de tous les autres actes barbares qui ont endeuillé le pays ces deux dernières années sont autant de morts de trop dans ce combat qui s'est engagé contre l'ignominie de l'organisation Etat islamique. Un échec aux causes multiples — diplomatiques, militaires, sociétales... — mais dont les services de renseignement, malgré les efforts déployés et les nombreux attentats déjoués, ne peuvent s'exonérer de toute responsabilité. Nourris par de nombreux entretiens avec des acteurs de premier plan de la « communauté du renseignement », les deux journalistes Christophe Dubois et Eric Pelletier ont décidé d'explorer les arcanes de cet univers complexe et secret dans un livre à paraître demain. Sans verser dans l'anathème, ils posent le doigt sur certaines plaies.

    Dépendance américaine

    De l'échec de la traque continentale d'Abdelhamid Abaaoud aux ratés du fichier des personnes radicalisées, les deux auteurs nous promènent dans un monde où l'information est la mère de toutes les batailles. Un bien si précieux qu'il ne s'échange guère entre alliés et pas même entre services d'un même pays. Un « cloisonnement quasi maladif » qui peut donner lieu à des imbroglios édifiants. Ainsi de l'arrestation de ces quatre jeunes filles en mars 2016 qui menacent de s'en prendre à une salle de spectacle parisienne en conversant sur Facebook. La DGSI (les renseignements intérieurs) les appréhende grâce à l'aide technique des Américains, quasi incontournables s'agissant des réseaux sociaux. A son tour, Washington prévient les Belges qui... répercutent l'information à la France. La préfecture de police de Paris met ses services en alerte, alors que les suspectes viennent d'être neutralisées. Au ministère de l'Intérieur on assure que les policiers parisiens avaient connaissance de l'origine de l'information, il n'empêche : « Le serpent antiterroriste se mord la queue. »

    Contrer la menace nécessite des moyens techniques. Or, à en croire les auteurs, la dépendance de la France à ses partenaires, et notamment les Etats-Unis, est grande. Manque d'anticipation (sur l'achat de drones par exemple) ou tout simplement de moyens, Paris ne pourrait agir sur la zone syro-irakienne sans l'appui des agences de l'Oncle Sam. « C'est une chose d'intercepter des données, c'en est une autre de les exploiter, complète Louis Caprioli, ancien sous-directeur à la DST (l'ancêtre de la DGSI). Les informations doivent être sélectionnées, traduites et enfin correctement analysées. Malheureusement, on manque de moyens humains pour effectuer ce travail primordial. » Cette captation massive pose un défi : comment concilier cette quête effrénée d'informations avec le respect de nos valeurs démocratiques.

    A quatre mois de l'élection présidentielle, la lutte antiterroriste sera un des sujets de campagne. Mais derrière les formules chocs, c'est le sens des missions de nos agents qui doit être au cœur des réflexions.