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Hubert Reeves : "Notre survie dépend des vers de terre"

INTERVIEW - L'astrophysicien Hubert Reeves, farouche défenseur de notre planète, prend la présidence d’honneur de l'Agence française pour la biodiversité. Il dit l’urgence de modifier nos comportements.

Richard Bellet , Mis à jour le
Hubert Reeves jeudi, à son domicile parisien
Hubert Reeves jeudi, à son domicile parisien © Jérôme Mars pour le JDD

 

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Hubert Reeves jeudi, à son domicile parisien. Crédits : Jérôme Mars pour le JDD

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Votée en août, la loi sur la reconquête de la biodiversité a donné naissance , le 1er janvier, à l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Fusion de quatre organismes (Office national de l'eau et des milieux aquatiques, Agence des aires marines protégées, Atelier technique des espaces naturels et les Parcs nationaux), cette nouvelle venue a pour mission, sous la tutelle du ministère de l'Environnement, de préserver faune, flore et eau. Alors que 9% des mammifères, 23% des amphibiens, 32% des oiseaux nicheurs ou encore 22% des poissons d'eau douce sont menacés de disparition en France métropolitaine , selon l'UICN, la tâche s'annonce rude. La première réunion de son conseil d'administration, le 19 janvier, devrait décider d'actions concrètes.

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En quoi l'Agence française pour la biodiversité vous semble-t-elle pionnière?
Elle doit, par la force démocratique, imposer des lois permettant d'obtenir des résultats sur le plan environnemental. En agrégeant des organismes qui, chacun de leur côté, faisaient des choses analogues, nous gagnerons en efficacité. Je regrette d'ailleurs que l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) n'y soit pas associé, mais une partie des chasseurs n'a pas voulu en faire partie. Dommage.

Avec un budget de 225 millions d'euros pour 2017 déjà affecté par une ponction de 70 millions sur les fonds de l'Onema, l'AFB ne manque-t-elle pas de moyens?
Est-ce que ce budget sera suffisant? J'avoue que je n'en sais rien. Ségolène Royal, dont je salue la contribution à la création de cette agence, dit qu'il le sera. Nous verrons à l'usage.

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"Nous faisons partie d'un immense écosystème, avec un monde animal et végétal qui nous est indispensable"

Le nombre d'espèces terrestres et marines menacées d'extinction augmente sans cesse. L'espèce humaine est-elle aussi en danger?
Nous faisons partie d'un immense écosystème, avec un monde animal et végétal qui nous est indispensable. Prenez les vers de terre, qui oxygènent la terre. Sans eux, les sols arables se stérilisent. Or notre nourriture en dépend, tout comme elle dépend de la pollinisation. En saccageant cet écosystème à un rythme effréné, en continuant à vivre avec l'injonction biblique d'une domination de l'homme sur une nature à notre service, nous réduisons considérablement nos chances de conserver une "vie vivable". C'est la survie même de l'espèce humaine qui est aujourd'hui en jeu, avec le risque qu'elle disparaisse. L'urgence est extrême.

L'homme est à la fois le plus évolué et le plus destructeur…
Sur les plans de la natalité et de la pensée abstraite, nous sommes sans conteste les champions, à la fois l'espèce la plus répandue chez les mammifères et la seule qui ait pu produire la théorie de la relativité d'Einstein. Mais oui, nous sommes aussi l'espèce la plus destructrice qui soit, celle qui pourrait avoir éliminé la moitié des autres d'ici à la fin du siècle. Les tortues, elles, ont traversé 200 millions d'années. Elles ont survécu à des catastrophes climatiques ou géologiques, elles ont su s'intégrer dans un écosystème en prenant et en donnant à la fois, sans saccager. Si nous voulons, comme ces tortues, durer, nous devons impérativement vivre en harmonie avec notre environnement, sobrement. Alors que notre puissance même nous menace, c'est la seule solution. Et nous pouvons y arriver en adoptant une attitude volontariste, déjà à notre niveau. Mon association, Humanité et biodiversité, propose par exemple que chacun fasse de son balcon, de son terrain, une "oasis nature" favorisant la vie avec des plantes, des nichoirs. C'est peu, mais cette décision, psychologiquement, est très importante.

Pourquoi l'homme réagit-il si lentement? Est-ce par inconscience, égoïsme, impuissance, manque d'informations?
Ce n'est pas que l'on ne sait pas, c'est que l'on ne veut pas savoir. Tous les scientifiques honnêtes affirment par exemple que l'homme est le premier responsable du réchauffement climatique. Pour autant, cela n'empêche pas Donald Trump de clamer que c'est une invention des Chinois. L'humain a cette faculté, quand le danger est très grave, de casser le thermomètre. C'est un refus par crainte d'affronter la réalité. L'ancien vice-président américain Al Gore parlait de "réalité encombrante".

Celle qui, en France, fait disparaître l'environnement des débats de la campagne présidentielle?
Je pense que l'électoralisme passe avant le bien public. Le thème de l'écologie n'est pas assez porteur. Autant le chômage peut nous toucher, autant la perte de biodiversité passe quasi inaperçue. La diminution du nombre de vers de terre, que j'évoquais, ne fait pas la une des journaux. Il faudrait pour cela qu'elle génère des catastrophes.

Comme le changement climatique?
Oui. Ce problème est devenu central dans le débat public car nous constatons la montée des eaux et ressentons l'effet des canicules ou des tempêtes. À cet égard, le sommet climat de Paris, la COP21, a marqué un tournant. Pour la première fois, 195 pays se sont entendus sur un constat, le réchauffement de la planète, et la nécessité de lutter pour le contenir. C'est un moment historique qui doit nous remonter le moral.

En même temps, le travail des scientifiques, celui du Giec par exemple, est dénoncé par des responsables de premier plan.
La "junk science", comme nous l'appelons, s'est amplifiée ces dernières années. Des bons chercheurs, débauchés par de grands groupes, écrivent dans des pseudo-revues scientifiques pour dire que le sucre, la cigarette ou l'amiante ne sont pas dangereux. Et des politiques relaient ces mensonges pour semer le doute. C'est une arme, c'est révoltant, mais c'est humain ; ce "putain de facteur humain", le PFH, pour reprendre une expression d'origine québécoise. Quand vous gagnez de l'argent, quand vous avez des privilèges, vous n'avez pas envie qu'on vous les enlève. Money, money…

Dans ce combat pour la vie, entre ceux qui détruisent et ceux qui tentent de restaurer, qui va gagner?
Comment savoir? Je pense tout de même, au risque d'être dans l'utopie la plus totale, que nous devons agir. Parce que si nous partons du principe que c'est foutu, alors oui, c'est foutu! Il nous faut protéger la biodiversité, sauvegarder la fertilité des sols, stopper la surpêche… Je lisais récemment un livre sur Jacques Cartier qui, lorsqu'il débarque au Canada en 1534, évoque des morues tellement nombreuses qu'elles gênent pour accoster. Aujourd'hui, c'est inimaginable. Le pape François, en plaçant ces problèmes sur un plan moral, a eu raison. Que nous dit-il? Que si nos activités peuvent s'avérer catastrophiques pour des millions de personnes – c'est le cas avec les forages pétroliers ou gaziers qui amplifient l'effet de serre –, nous devons tout simplement les stopper.

A l'échelle de l'Univers, dont vous êtes familier, l'homme n'est-il pas voué à être de passage?
Voué, je n'en suis pas sûr, cela voudrait dire que c'est écrit quelque part… Moi, j'aimerais simplement que mes enfants et petits-enfants aient une vie aussi convenable que la mienne. Et là je ne parle pas à l'échelle du millénaire mais de quelques décennies, pas plus.

Vous au moins ne disparaîtrez pas puisque l'Union astronomique internationale a donné votre nom, Hubertreeves, à un astéroïde…
Ce qui compte à mes yeux, c'est que mon nom a été proposé par des étudiants. Au moins, ils appréciaient mon enseignement.

https://www.hubertreeves.info

https://www.humanite-biodiversite.fr

Source: JDD papier

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