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Quand des trolls très sûrs d'eux sur Twitter s'excusent petitement devant la justice

Des auteurs anonymes de tweets islamophobes ou homophobes ont été démasqués par la police après le dépôt de plaintes. Devant la justice, ils se font bien plus petits que sur les réseaux sociaux.


Mise à jour le 22/02/2017:

  • Aurélie, qui avait menacé «d'égorger» des imams, a été condamnée à 250 euros d'amende avec sursis (non inscrit à son casier). Le tribunal a justifié ainsi la clémence de cette peine: la prévenue «a reconnu les faits, s'est excusée et a expliqué le contexte", à savoir ses origines et l'attentat contre l'église de Saint-Étienne de Rouvray.
  • Christian C., qui avait notamment insulté l'adjoint du maire de Paris Ian Brossat («petite fiotasse») a été condamné à deux mois de prison avec sursis et à payer un euro symbolique (demandé par l'élu).
  • Nadia A., qui avait tenu des propos encore plus violents contre Ian Brossat («Tu te fais enfiler comme un clebs», «sale PD»...), a elle été condamnée à 4 mois avec sursis et un euro symbolique.

Ils sont des milliers chaque jour à se cacher derrière un pseudo pour insulter ou menacer des internautes sur les réseaux sociaux. Sur Twitter par exemple, les trolls ont la belle vie et peuvent la plupart du temps injurier tranquillement —souvent sous le regard passif de la modération— sans craindre des poursuites judiciaires. Ce mercredi pourtant, plusieurs trolls qui se cachent habituellement derrière des pseudos anonymes, ont comparu devant la 17e chambre du TGI de Paris après avoir été démasqués par la police.

Intimidée et émue, Aurélie* est appelée à la barre pour expliquer un tweet qu'elle avait lâché juste après l'attentat contre l'église de Saint-Étienne de Rouvray et le meurtre du père Hamel en juillet 2016. À partir du compte @EuropeER, elle a, entre autres messages islamophobes, posté ce tweet.

«Nous aussi on va égorger vos imams dans vos mosquées.»

La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) signale son tweet au procureur et les enquêteurs parviennent à l'identifier. Devant le juge, elle reconnaît ses écrits. «Quand j'ai vu les insultes sur Twitter après la mort du père comme "un prêtre pédophile de moins...", j'en voulais au monde entier», se défend-elle. Beaucoup moins violente que sur le réseau social, la jeune femme poursuit en larmes:

«J'aurais dû me taire. Je suis une ex-musulmane d'origine kurde, je ne suis pas islamophobe. Je regrette, mais je l'ai fait.»

Le procureur, plutôt convaincu par ses explications, requiert une condamnation mais avec dispense de peine.

Des tweets homophobes contre l'élu Ian Brossat

Parmi les ex-anonymes de Twitter poursuivis, il y en a deux qui retiennent particulièrement l'attention des médias: Christian C. et Nadia A. Il y a près de deux ans, en avril 2015, ils avaient posté des tweets homophobes contre l'élu communiste de la ville de Paris, Ian Brossat. Le premier, adhérent Les Républicains depuis 2012, se cachait derrière le pseudo «La vraie droite», pour balancer sa prose homophobe:

«Salut la petite fiotasse, alors tu t'es bien fait enculer dernièrement par le fion lol?!»

Comme Aurélie, Christian C. se montre beaucoup moins assuré devant le tribunal et se fait même rappeler à l'ordre à plusieurs reprises parce qu'il ne parle pas assez fort. Après avoir relu son post Twitter à l'encontre de Ian Brossat, la juge interpelle le prévenu: «Qu'est-ce qu'il se passe monsieur?»

«J'étais mal réveillé, c'était un lundi matin, c'était par rapport à la politique HLM de la ville de Paris. Je plaide l'immaturité et la bêtise.»

«Vous avez des amis homosexuels?»

La présidente de la 17e se montre sceptique quant à sa supposée immaturité alors que l'homme en costard-cravate travaillait dans une banque avant d'être au chômage a... 37 ans. Elle cherche ensuite le lien entre ses positions contre «la mixité sociale dans le 16e arrondissement» et l'orientation sexuelle de Ian Brossat. «Je ne sais pas», «je regrette», «rien ne justifie mon tweet», se contente de répéter Christian C. en boucle. Il dit ne plus avoir de compte Twitter. L'échange entre la juge et cet homme plutôt terrorisé se poursuit:

«-Pourquoi ne pas l'avoir traité de sale rouge? Vous êtes homophobe?

-Non du tout. Je savais qu'il était homosexuel.

-Et?

-Et j'ai jamais tapé quelqu'un...

-Tapé quelqu'un...?

-...

-Vous avez des amis homosexuels?

-Non.

-Au moins vous ne direz pas cela comme excuse...

«Après les homosexuels et les noirs, vous aviez d'autres cibles?»

Après ses regrets, le tribunal rappelle tout de même qu'outre ses propos homophobes, ce troll est aussi poursuivi dans une autre affaire pour avoir tweeté des insultes à l'ex-ministre Christiane Taubira. «Après les homosexuels, après les noirs, vous aviez d'autres cibles?» interroge la juge. Christian C. martèle regretter ses propos et dit «bien se rendre compte d'avoir écrit une bêtise».

Pour le défendre, son avocate tente l'argument étymologique en expliquant que «fiotte» ou «fiotasse», à tort, ne sont pas recensés comme étant des insultes homophobes. Puis, elle veut convaincre la juge que son client n'est pas très intelligent et se lance dans une diatribe aussi assassine qu'humiliante:

«Mon client vous dit qu'il est immature. Il est totalement immature. Il a perdu son travail (après la fin de son CDD, ndlr), il a complètement changé. C'est un jeune homme, vous allez me dire il a 37 ans, mais il est persuadé que la vie est un peu comme une cour d'école. Il a honte de ce qu'il a fait. Il réfléchit avec ses petits neurones, c'est plutôt un esprit faible. Il est légèrement simplet.»

Ian Brossat, expliquant qu'il n'est pas «dans la revanche», demande un euro symbolique en guise de dommages et intérêts. Le procureur lui, requiert deux mois de prison avec sursis.

«Tu te fais enfiler comme un clebs»

Enfin, la juge lit avec douleur d'autres tweets encore plus violents reçus par l'adjoint au logement de la ville de Paris. Toujours anonyme, Nadia A. lui avait envoyé plusieurs messages homophobes et menaces en avril 2015.

Mécontente d'avoir été bloquée par l'élu (ses tweets sont tout de même restés plusieurs jours visibles avant que Twitter ne bloque son compte), Nadia A. a créé un nouveau compte nommé «JteBaiseTaMaire». Et a posté une autre salve de messages et de menaces contre Ian Brossat:

«-Bande chiens jbaise vos moeurs chelous fils de clébard. A 4 pattes pour s'enfiler.

-Ton cul est réservé ce soir? On devine par qui? SALE PD. HONTE SUR VOUS TOIT BOUR MOI LE CUL PLAINTE UMP PENAL.

-PP Bouche de pipeuse tu recrutes le cul de qui? C'est un homme ou une salope profiteurs de pouvoir cette Brossat.»

-Violences politiques fils de pute.»

Nadia A. est absente au procès. Elle est détenue à la prison de Fleury-Mérogis après avoir été jugée dans une autre affaire, selon l'avocat de l'élu parisien. La juge lit tout de même ses justifications livrées aux policiers lors de son audition. Et là encore, une fois mise à nu, la parole se fait beaucoup moins virulente pour cette ex-troll au casier déjà bien fourni— elle a été condamnée deux fois pour des menaces de mort et une fois pour des appels téléphoniques malveillants.

«J'ai tweeté cela car Ian Brosat est très arrogant sur Twitter. Dès qu'il n'est pas d'accord, il bloque», se défend-elle lors de son audition. Le policier la relance pour savoir si cela justifiait de tels propos. «En fait, j'ai voulu être percutante car il utilise sa popularité pour vous faire bloquer par Twitter. Je voulais faire réagir», poursuit-elle. Et de lâcher:

«Je n'ai pas mesuré la portée et le sens de mes propos.»

Le procureur a requis trois mois de prison avec sursis. «Mon objectif ce n’est pas que ces deux personnes croupissent en prison, mais de montrer que face à l’homophobie, on ne doit pas plier et qu’il y a des limites qu’on n'a pas le droit de franchir», tient à ajouter Ian Brossat. Maître Gublin, son conseil, a aussi insisté pour que ce procès exceptionnel puisse servir à lutter contre cette impunité sur les réseaux sociaux: «Internet est un espace de liberté, oui. Mais la libertés des uns s'arrête là où commence celle des autres.» Décision rendue le 22 février.