Il y a tout juste 100 ans, le premier album de jazz était enregistré

Alors que la guerre fait rage, James Reese Europe débarque à Brest avec son orchestre des Harlem Hellfighters, initiant les Français au ragtime...

Par Louis Victor

Publié le 12 janvier 2017 à 10h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h32

Le jazz a tout juste 100 ans. Le jazz enregistré, faudrait-il préciser. Car, si son véritable acte de naissance remonte à l'aube du XXe siècle, son épopée phonographique débute bien à New York le 26 février 1917, avec l'Original Dixieland Jazz Band, quintet au style New Orleans qui grave le tout premier 78 tours du genre. Une date décisive qui précède de quelques mois seulement un autre événement de taille : l'arrivée du jazz — ou du moins de sa forme primitive — en France avec l'orchestre de James Reese Europe, héraut de la musique noire américaine au destin tragique.

Une odyssée hors norme

Avril 1917. Les Etats-Unis entrent en guerre contre l'Allemagne. Jim Europe est choisi par l'armée pour mettre sur pied un orchestre d'élite, celui du premier régiment noir de la Garde nationale de New York, les futurs Harlem Hellfighters. En quelques mois, de la 125e Rue à Porto Rico, Europe parvient à réunir plusieurs dizaines d'instrumentistes, parmi les meilleurs du Nouveau Monde. Au 1er janvier 1918, les soldats débarquent sur le sol français. Début d'une odyssée hors norme à travers le pays, entre théâtres et tranchées.

“Il sembla alors que tout le public commença à se balancer”

Jim Europe est chef d'orchestre un jour, chef de guerre derrière une mitrailleuse le lendemain, et devient le premier officier noir à mener des troupes au combat. Dans nos régions, il initie les foules au ragtime et aux rythmes syncopés. « C'est surtout en province que les Harlem Hellfighters se sont produits, le plus souvent dans des villes de taille moyenne, là où le cake-walk avait moins pénétré qu'à Paris », précise Laurent Cugny, professeur de musicologie à la Sorbonne et auteur d'Une histoire du jazz en France. Le choc est de taille pour les populations qui découvrent un orchestre noir interprétant La Marseillaise en swing. Partout, l'accueil est chaleureux, comme le suggère le témoignage de Noble Sissle, bras droit de Jim Europe, concernant un concert nantais de février 1918 : « Je suis certain que la plus grande partie de la foule n'avait jamais entendu un morceau de ragtime [...]. Il sembla alors que tout le public commença à se balancer. De dignes officiers français commencèrent à taper du pied [...]. Quand l'orchestre eut fini et que les gens éclatèrent de rire, leurs visages illuminés de sourires, j'étais forcé d'admettre que c'était exactement ce dont la France avait besoin dans ce moment critique. »

Presque cent ans plus tard, cette étape essentielle de l'histoire musicale occidentale reste largement méconnue. Raison pour laquelle le festival Sons d'hiver a voulu entamer son édition 2017 avec un hommage (une création moderne et pluridisciplinaire signée Ernest Dawkins, pilier de la Great Black Music) au pionnier qu'était Europe, revenu à Harlem en héros le 17 février 1919 et tragiquement assassiné trois mois plus tard par son batteur, qui, fou de rage, après une empoignade, lui planta un couteau dans la gorge. 

5 dates clés
1880 
Année (incertaine) de naissance de James Reese Europe, à Mobile, Alabama.
1910 Création par Europe du syndicat des musiciens afro-américains, le Clef Club, et de son orchestre de cent instrumentistes, avec dix pianos.
1912 Jim Europe dirige le premier orchestre afro-américain sur la scène du Carnegie Hall.
1913 Enregistre pour la firme Victor les premiers disques de danse avec un orchestre entièrement noir.
1918 Débarque le 1er janvier à Brest et interprète La Marseillaise, avec les Harlem Hellfighters. 

Propaganda Nabaggala « 1917 », Ernest Dawkins, en ouverture du festival Sons d'hiver, le 13 janvier, 20h30 | Espace culturel André-Malraux, 2, place Victor-Hugo, 94 Le Kremlin-Bicêtre | 9-20 €.

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