Il l'admet lui-même, Michel Houellebecq appartient à "l'élite mondialisée" et n'est plus en contact avec la France des "oubliés".

Michel Houellebecq est devenu le "contemporain capital" des lettres françaises.

F. COFFRINI/AFP

Ce n'est pas encore l'entrée dans la Pléiade, mais c'est un nouveau (grand) pas vers la consécration: Michel Houellebecq a droit de son vivant à son numéro des Cahiers de l'Herne, ces volumineux recueils de témoignages, études et textes inédits consacrés à un écrivain (les derniers Français à y avoir été honorés ont été Déon, Modiano et Bonnefoy).

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L'occasion rêvée de comprendre comment l'auteur de Soumission est devenu le "contemporain capital" des lettres françaises. Le riche casting de ces Cahiers très profus suffit à mesurer le spectre large de ses admirateurs, de Salman Rushdie à Emmanuel Carrère, en passant par Michel Onfray, BHL, Bret Easton Ellis ou Philippe Muray.

Premier intérêt de cette somme: découvrir le Houellebecq d'avant la célébrité, celui qui pouvait passer un été à manger des camemberts tout seul dans sa chambre à l'internat de l'Agro, celui qui écrivait une pièce de théâtre baba-kitsch (qui n'aurait pas déparé au "off" d'Avignon en 1976...), celui qui participait timidement à des réunions de poètes inconnus dans une bibliothèque municipale de la rue de Picpus, à Paris.

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Au passage, on a la confirmation que la poésie constitue bien le "fond de jeu" de l'écrivain Houellebecq. Et l'on apprend même que notre "Baudelaire des supermarchés" (la formule est de Dominique Noguez) aurait acheté sa célèbre parka dans un Karstadt, ce déprimant Prisunic de la classe moyenne allemande.

"Une expérience moyenne de l'existence"

On lit ou relit aussi avec joie certains de ses anciens textes devenus introuvables, telle cette apologie de Pif parue dans L'Idiot international: "En 1970, je jouais encore aux billes, je lisais Pif le Chien. La belle vie." De mauvais esprits pourront aussi s'amuser à rapprocher ce que Houellebecq écrivait jadis du Goncourt, ce "bon gros prix littéraire, bien corrompu", dont les jurés ressemblent "à ces vieillards emplumés qui dansent pour les touristes dans les réserves navajos", et sa correspondance plus récente avec son éditrice de Flammarion, Teresa Cremisi.

Là, en 2010, alors qu'il est le favori déclaré, Houellebecq suit soudain de près les "complexes manoeuvres" engagées par cette dernière, laquelle lui confie comment "obtenir une bienveillance résignée d'éditeurs concurrents" et "souder la majorité" qui se dessine. La Carte et le Territoire décrochera le prix.

Mais comment Houellebecq a-t-il pris une place digne de Sartre, selon Emmanuel Carrère, dans notre paysage littéraire? Par son obstination à décrire "une expérience moyenne de l'existence", avance ce dernier, qui observe que le romancier est aussi "misandre" que "misogyne". Houellebecq, écrivain pour classes moyennes?

"Il y a chez lui une fatigue de la liberté", observe la dramaturge Yasmina Reza. Une douloureuse atonie, une écriture blanche, une sourde angoisse, en prise sur l'époque, parfaitement résumées dans sa poignante tentative de Journal, en 2005, rebaptisée Mourir: "Je le sais maintenant: jusqu'à ma mort je resterai un tout petit enfant abandonné, hurlant de peur et de froid, affamé de caresses."

CAHIER DE L'HERNE HOUELLEBECQ, sous la direction d'Agathe Novak-Lechevalier. L'Herne, 384p., 33¤.

Et aussi:

HOUELLEBECQ 2001-2010 OEuvres complètes II, Flammarion, 1568p., 35¤.

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