HISTOIRE. 1918 : une saison en enfer avec la grippe espagnole

Il y a près d'un siècle, une pandémie ultra-violente frappait le monde. En cette fin 1918, le virus H1N1 va plus tuer que la guerre.

    Les Français exultent, s'enlacent, chantent « la Marseillaise » à tue-tête. L'Allemagne scélérate du Kaiser est à terre ! Ce 11 novembre 1918, l'interminable guerre, la pire que le monde ait jamais connue, est finie... Mais une autre a déjà commencé. Insidieuse, implacable. L'ennemi, cette fois, n'a pas de casque à pointe. On le dit espagnol... et surtout invisible. Dans les villes, dans les campagnes, dans les tranchées, il fauche massivement. Et d'autant plus facilement qu'après quatre ans d'un conflit enragé et de privations, le pays est à bout de forces.

    Cela fait des mois que le virus rôde dans l'indifférence générale. Il s'invite pour la première fois le 10 avril, dans les tranchées de Villers-sur-Coudun (Oise). La grippe A se répand dans toute la France, à une vitesse prodigieuse, mais reste bénigne. Dans la presse, on fanfaronne : « Nos troupes y résistent merveilleusement. Mais de l'autre côté du front, les Boches sont très touchés ! » lit-on dans « le Matin » du 6 juillet.

    L'Hexagone va vite déchanter, car cette première vague n'est rien face à la deuxième lame, qui se déchaîne à la fin de l'été. Les Etats-Unis comptent leurs morts par dizaines de milliers. La France et la Grande-Bretagne doivent bien admettre que les « cas compliqués » se multiplient, comme à Montpellier où 65 grippés sont morts au mois d'août. Mais les têtes sont ailleurs, vers l'offensive alliée qu'on espère enfin décisive.

    En septembre, la brutalité du virus est telle que le corps médical ne sait plus très bien s'il s'agit d'une grippe particulièrement virulente ou du retour de la peste ! En quelques jours à peine, le malade passe de vie à trépas. Courbatures, douleurs d'estomac, fièvre brûlante, puis, très vite, une toux infernale... et l'asphyxie. « L'homme devient bleu, baigné de sueurs profuses, commence à râler et la mort survient », constate, à Nantes, le D r Weil. Les médecins sont surtout frappés par les « regards angoissés » des patients. En octobre, c'est la panique. On tente d'isoler les malades, mais il y en a tant... Le 10, Caen ferme toutes ses salles de spectacle et interdit les réunions. Le 25, c'est au tour des lycées parisiens de rester portes closes.

    Du rhum en guise de médicament

    Partout, on enterre la nuit, à la chaîne. La quinine et l'huile de ricin (les antibiotiques ne viendront que dix ans plus tard) sont en rupture de stock. Dans la capitale, 500 hectolitres de rhum — délivré sur ordonnance — sont débloqués par le ministère du Ravitaillement. Mais rien n'arrête le mal, surtout pas les remèdes fantaisistes, vendus à prix d'or par les vautours sans scrupule.

    Les théories du complot germent. C'est sûr, les Boches ont contaminé des conserves alimentaires ! Sauf qu'eux aussi meurent à la pelle. Les Etats-Unis et toute l'Europe sont pris à la gorge, à la faveur des mouvements de troupes. Après l'Armistice, c'est la démobilisation qui joue les agents propagateurs. Le retour des bateaux vers les colonies achève d'en faire un fléau planétaire. Repue de tous ses morts (au moins 20 millions) la grippe espagnole cesse le combat après une troisième vague, au printemps 1919. En un an, elle aura tué deux fois plus que la Grande Guerre.

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