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« Paye ta shnek », ta robe, ton taf… à quoi servent les recueils de témoignages de sexisme en ligne ?

Le premier, apparu en 2010, a inspiré des dizaines de plates-formes recueillant des anecdotes, du sexisme ordinaire à la violence sexuelle, dans divers milieux.

Publié le 12 janvier 2017 à 14h51, modifié le 07 mars 2017 à 16h30 Temps de Lecture 5 min.

Le premier recueil, a inspiré des dizaines de plateformes recueillant des anecdotes, du sexisme ordinaire à la violence sexuelle.

« Qu’est-ce que c’est encore que ces conneries féministes ? » Voici les propos qu’a entendus l’une des contributrices de Chair collaboratrice (site qui regroupe des témoignages de collaboratrices d’élus ou d’hommes politiques), de la bouche d’un député s’adressant à ses collaborateurs dans un café proche de l’Assemblée. Nous sommes, selon ce témoin, quelques jours après le lancement du Tumblr de témoignages de sexisme par un groupe de collaboratrices parlementaires.

La création de ce genre de plates-formes participatives fait réagir, depuis qu’en 2010, l’association Osez le féminisme ! crée la première d’entre elles, le blog Vie de meuf, qui recueille des témoignages de sexisme au travail.

Deux ans plus tard, le Tumblr Paye ta shnek est lancé par une militante indépendante, recueillant des témoignages de harcèlement de rue. Sa créatrice, Anaïs Bourdet, s’est inspirée d’une vidéo en caméra cachée mise en ligne par une habitante de Bruxelles, Sofie Peeters.

Paye ta shnek compte aujourd’hui des milliers de témoignages et a inspiré des variations : Paye ton utérus, un mot-clé sur Twitter sur les problèmes d’accès aux soins pour les femmes lancé en 2015, le blog Paye ta robe, sur le sexisme dans le milieu des avocats, lancé en octobre 2016, de même que Chair collaboratrice. En janvier 2017, trois nouveaux blogs voient le jour : Paye ta blouse, pour le milieu hospitalier, Paye ta fac, pour l’université, Paye ton taf, sur le sexisme et le harcèlement sexuel au travail, et le dernier en date, la page Facebook Paye ton journal, sur le sexisme dans les salles de rédaction.

Ces plates-formes ont en commun d’attirer l’attention des médias au moment de leur création, en proposant un catalogue d’expériences dont on ignorait jusqu’ici la répétitivité et la violence.

Passé le moment de gloire médiatique, on peut s’interroger sur l’impact de ces initiatives dans la vie réelle, sur leur capacité à transformer les comportements. Six ans après la création de la première plate-forme, que changent ces témoignages en ligne dans la prise en compte du sexisme ?

Une salle de presse aux JO de Rio en 2016.

Prise de conscience collective

Clémence Pajot, directrice du centre Hubertine-Auclert, l’observatoire de l’égalité hommes-femmes en Ile-de-France, assure d’emblée qu’il est difficile de mesurer leur impact concret, par exemple dans la vie des femmes au travail. Tout simplement parce que ces plates-formes sont trop récentes et ne peuvent être confrontées à des chiffres de victimologie, qui sont encore inconnus pour les années correspondantes.

Selon Raphaëlle Remy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme !, ces divers recueils ont d’abord eu le mérite de montrer l’étendue du problème, longtemps minimisé et renvoyé à des cas « isolés » :

« L’avantage indéniable de ces plates-formes, c’est qu’elles permettent une prise de conscience à la fois de la masse et de la diversité des situations vécues. »

Elles permettent, par l’effet de nombre, de crédibiliser les témoignages tout en préservant l’anonymat de celles qui les ont écrits. Ceux-ci ont longtemps été regardés avec méfiance lorsqu’ils étaient le fait d’une seule femme ou de quelques-unes, rappelle Clémence Pajot.

« On parle de libération de la parole, mais c’est moins une question de liberté que de visibilité. Les femmes ont toujours eu des difficultés à faire entendre leur voix, même quand elles parlent. Internet permet que les témoignages soient entendus, sans être remis en cause. »

Des infirmières marchent dans un couloir de l’hôpital de Lens.

Outil de militantisme numérique caractéristique d’une « nouvelle génération » de féministes françaises, ces blogs, Tumblr et pages Facebook ont contribué à mettre en lumière des situations que l’on ne voyait pas, dans certains milieux professionnels. La récente création de Paye ta blouse en atteste, selon la porte-parole du mouvement Osez le féminisme !.

« Parce qu’on a beau relever les chiffres du sexisme dans tel ou tel milieu, il y a toujours des endroits où l’on n’est pas. »

Une fois qu’une collection de témoignages existe, elle sert également d’outil dans les conversations, comme le constate Anaïs Bourdet, la créatrice de Paye ta shnek.

« Un recueil est d’abord là pour prouver l’existence du phénomène. Je vois des gens renvoyer aux contenus de ces plates-formes dans leurs conversations sur Facebook, pour dire à quelqu’un “je ne suis pas la seule à l’avoir vécu”. »

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Même constat pour Emmanuelle, avocate et cocréatrice de Paye ta robe. Si le blog, lancé en octobre 2016, est trop récent pour que l’on puisse en évaluer les impacts concrets, son auteure note déjà une évolution des pratiques en ligne :

« Lorsque les gens partagent des anecdotes de boulot sur les réseaux, ils taguent notre blog, ils nous citent, la plate-forme est devenue un réflexe pour centraliser les témoignages sur le sujet. »

Transformer la parole en action

A la fac Toulouse II Jean Jaurès (le Mirail) en 2009.

La difficulté semble être de convertir ces moments vécus en avancées concrètes. Anaïs Bourdet dit recevoir de nombreux messages d’hommes qui prennent conscience d’avoir eu un comportement de harceleur. « On est aussi dans une forme de transition, poursuit-elle. « Il y a eu une nette prise de conscience, et maintenant, il y a ceux qui s’autorisent quand même à se comporter en harceleurs tout en soulignant qu’ils savent que c’est grave, sous couvert d’humour. » C’est un peu l’exemple évoqué par les créatrices de Chair collaboratrice dans une tribune publiée dans Le Monde pour expliquer leur démarche ; après l’affaire Baupin, à l’Assemblée, on a pu entendre des questions comme :

« Je peux te toucher l’épaule ou c’est du harcèlement ? »

« La question qui demeure est : que fait-on de cette parole ?, demande Clémence Pajot. Seuls 5 % des cas de harcèlement au travail donnent lieu à des jugements. » Les témoignages en ligne fonctionnent comme une première étape pour mettre en avant le problème et crédibiliser les victimes, mais qui ne se suffira pas à elle seule.

« Les recueils de témoignages permettent une autre forme de dénonciation pour les femmes qui ne veulent pas mettre, par exemple, leur poste en danger, concède Clémence Pajot. Mais évidemment, cela ne dispense pas de l’étape suivante. Elles visibilisent les violences mais ne répondent pas aux questions de reconnaissance et de protection des victimes », ce qui, pour ce qui est du harcèlement sur le lieu de travail, « prendra du temps, et demandera de changer les choses sur un plan structurel en formant la police et la justice. »

Une étape qui permet de débarrasser la question de la colère et de l’émotion qui l’entourent, selon Raphaëlle Remy-Leleu :

« Avoir libéré une émotion et une colère fait que l’on peut aller plus loin dans l’analyse, on peut passer aux étapes suivantes qui sont de déconstruire les mécanismes d’isolement des femmes, d’analyser les pratiques, et de pouvoir s’en protéger. »

Pour Anaïs Bourdet, il est inévitable que ces projets, dont le premier effet « buzz » est évidemment bénéfique, évoluent. Elle-même a commencé à diffuser des techniques d’intervention non violentes pour savoir comment réagir si l’on est témoin de harcèlement, dans la rue ou les transports. « A terme, le but est évidemment que les gens se positionnent et que les choses bougent. »

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