Economie
Expert- Le Poids de l'Asie

La Chine achète-t-elle les Etats-Unis ?

Jack Ma, Pdg du géant chinois de l'e-commerce Alibaba, à son arrivée à la Trump Tower le 9 janvier 2017 à New York. (Crédits : Drew Angerer/Getty Images/AFP)
Jack Ma, Pdg du géant chinois de l'e-commerce Alibaba, à son arrivée à la Trump Tower le 9 janvier 2017 à New York. (Crédits : Drew Angerer/Getty Images/AFP)
La Chine est encore très loin d’acheter l’Amérique ! Ce sont moins ces acquisitions que l’absence de réciprocité qui pose problème. Car si les Chinois font leur marché aux États-Unis, les Américains (et les Européens) n’ont pas la même liberté en Chine.
Depuis son élection, Donald Trump a réuni une équipe de choc pour gérer les relations sino-américaines. La nomination la plus spectaculaire a été celle de Peter Navarro. Professeur d’économie à l’université de Californie, il est l’auteur de plusieurs livres sur la Chine dont Death by China, confronting the dragon où il traite des relations commerciales et décrit les menaces que font peser les importations chinoises sur l’emploi, la propriété intellectuelle et la santé des consommateurs américains. Il en a tiré un film disponible sur Youtube. Publié en 2015, Crouching Tiger traite des menaces militaires chinoises. Peter Navarro dirigera le National Trade Council et Wilbur Ross sera Secrétaire d’État au Commerce : ce milliardaire a fait fortune dans le redressement des entreprises en difficulté – dont la sidérurgie. Robert Lighthizer sera le représentant au commerce – il avait été représentant adjoint sous Reagan lorsque les États-Unis affrontaient le Japon et depuis, cet avocat défend des entreprises dans des affaires de dumping dont la sidérurgie.

Abcès de fixation des échanges avec la Chine, la sidérurgie n’est pas représentative de la complexité de ces relations qui sont caractérisées par l’imbrication des industries américaines et chinoises. Une hausse de tarifs douaniers touchera autant les ménages qui font leurs courses à Wall Mart que les industriels qui utilisent des composants ou des pièces détachées fabriquées en Chine.

L’envolée des investissements chinois aux Etats-Unis

Lorsque Donald Trump entrera en fonction, la situation des échanges sino-américains ne sera pas très différente de ce qu’elle était à l’arrivée d’Obama. Troisième destination des exportations américaines, la Chine en absorbe 7 %, soit le même pourcentage qu’en 2008. Elle est le premier fournisseur des États-Unis et sa part de marché a légèrement augmenté, de 19 à 21 %. Le déficit bilatéral, lui, s’est creusé et il explique 56 % du déficit commercial américain au lieu de 43 %. Le yuan qui s’était apprécié par rapport au dollar jusqu’en 2015, est revenu à sa parité de janvier 2009 : la dépréciation de ces derniers mois aurait été plus forte si les autorités chinoises n’avaient pas mobilisé une partie de leurs réserves pour défendre leur monnaie. Elles ont vendu des bons du Trésor et depuis la fin de 2016, le Japon en est le premier détenteur avec 1 130 milliards de dollars devant la Chine (1 120 milliards).

La véritable nouveauté a été l’envolée des investissements chinois aux États-Unis. Des flux difficiles à mesurer. Du côté chinois, les entreprises n’étant pas tenues de renseigner la destination finale de leurs investissements, les statistiques du ministère du Commerce (MofCom) montrent que les trois quarts se dirigent vers les paradis fiscaux d’où ils repartent vers une autre destination. Laquelle ? Seules les statistiques des pays hôtes permettraient de répondre, mais c’est rarement le cas. Aux États-Unis, le Bureau d’Analyse économique (BEA) qui mesure les entrées et les sorties d’investissements étrangers, a également du mal à déterminer la nationalité des entreprises qui s’implantent via ces paradis fiscaux. Pour contourner ces difficultés, Rhodium et Heritage suivent les annonces des entreprises chinoises et publient des statistiques sur les investissements chinois qui ne sont pas directement comparables à celles que publient le Mofcom ou le BEA et doivent être maniées avec prudence. On peut considérer que ces données révèlent la tendance des investissements chinois.

Bras de fer à venir

Longtemps, la circulation des flux d’Investissements directs étrangers (IDE) sino-américains fut à sens unique : des États-Unis vers la Chine. C’est qu’entre 1980 et 2000, les entreprises chinoises n’avaient ni les moyens ni la permission d’investir à l’étranger. Cela a changé en 2003. Toutefois, comme le montre John Pomfret dans son histoire passionnante des relations sino-américaines, l’internationalisation que l’on attribue à l’annonce de la stratégie « Go out » a de lointains précédents dans l’histoire. Au XIXème siècle, Howqua l’un des « treize Hong », les intermédiaires obligés des échanges de l’Empire du Milieu à Canton, et l’un des hommes les plus riches au monde, a fait des placements importants dans le « Beau Pays » (Meigo, 美国 – l’Amérique en chinois). S’il était le plus fortuné, il n’était pas le seul Chinois à investir. Une « brève » du New York Times du 11 août 1869 signale l’arrivée de « Chinois distingués » venus prospecter en Californie.
Flux d'investissements directs aux Etats-Unis, total et montant des investissements chinois, en milliards de dollars (2005-2016)
Flux d'investissements directs aux Etats-Unis, total et montant des investissements chinois, en milliards de dollars (2005-2016)
Plus d’un siècle et demi après, les entreprises chinoises ont retrouvé le chemin du « Beau pays ». Il a tout ce que les Chinois recherchent : placements immobiliers, rachats d’entreprises, acquisitions de technologies. Jusqu’à la crise mondiale, ces investissements relevaient de l’anecdote avec moins d’1 milliard de dollars par an. Depuis 2014, les Chinois investissent plus aux États-Unis que les Américains en Chine et en 2016, leurs investissements ont connu une formidable embellie selon Heritage et Rhodium – les données du BEA ne sont pas encore disponibles. On constate la même offensive du côté européen où selon Rhodium, les investissements chinois auraient atteint 35 milliards d’Euros en 2016. En Europe comme aux États-Unis, ces investissements ont financé bien plus d’acquisitions que de création de nouvelles capacités, et seraient plus le fait d’entreprises privées que de sociétés d’État – sachant que l’on peut s’interroger sur la nature privée de plusieurs grandes entreprises chinoises. Parmi les plus grandes acquisitions, le rachat du géant américain de l’agroalimentaire Syngenta par ChemChina pour 43 milliards de dollars risque d’être retoqué par le Comité sur les investissements étrangers à Washington – comme cela a été le cas d’acquisitions dans l’électronique (LexMark et Micron). Les investissements de 2016 porteraient le stock d’IDE chinois aux États-Unis à plus de 100 milliards de dollars.

Ce montant, dix fois moindre que celui des bons du Trésor acquis par la Chine, doit être mis en perspective. Bon an, mal an, les États-Unis attirent 250 milliards de dollars d’IDE et le stock des investissements étrangers était de 5600 milliards de dollars en 2015 tandis que la richesse privée américaine est évaluée à 88 000 milliards de dollars. La Chine est encore très loin d’acheter l’Amérique ! Ce sont moins ces acquisitions que l’absence de réciprocité qui pose problème. Car si les Chinois font leur marché aux États-Unis, les Américains (et les Européens) n’ont pas la même liberté en Chine. Une dissymétrie qui justifie la signature d’un traité d’investissement bilatéral en négociation depuis plusieurs années. Le faire aboutir est peut-être l’un des objectifs du bras de fer annoncé entre Trump et la Chine.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).