Justice

Au Maroc, un Français accusé d'avoir financé le jihad à hauteur de 65 euros

Le procès en appel de Thomas Gallay, 37 ans, doit se clôturer à la fin du mois. Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent une condamnation en première instance fondée sur des «aveux douteux».
par Margot Chevance, Correspondante à Casablanca
publié le 18 janvier 2017 à 7h09

Cela fait bientôt un an que Thomas Gallay a été arrêté par la police marocaine. Ce Français de 37 ans, ingénieur en microélectronique, est accusé de «soutien financier en vue de la commission d'actes de terrorisme» au Maroc. En juillet, il a été condamné en première instance à six ans de prison ferme. Depuis, il ne cesse de clamer son innocence, alors que son procès en appel touche à sa fin.

L'affaire éclate à Essaouira un matin de février 2016. A l'aube, la police débarque dans l'appartement du Français, établi depuis deux ans dans cette petite ville bleue et blanche du bord de mer. Perquisition à son domicile, confiscation de son ordinateur et de son téléphone portable, Thomas Gallay embarque dans un fourgon direction la capitale, Rabat, à près de 500 kilomètres. Il apprend qu'une de ses fréquentations, Maalaïne Lassir, a été arrêtée, avec huit autres individus, dans le cadre d'une opération de démantèlement de cellule terroriste. On lui reproche d'avoir donné à cet homme 700 dirhams (65 euros), «en un an et en trois fois, simplement pour le dépanner», précise Béatrice Gallay, qui se bat pour la libération de son fils. Et d'ajouter, sceptique : «Je ne sais pas trop ce que l'on peut financer avec cette somme, mais bon…»

Elle remonte le fil des événements qui ont mené Thomas jusqu'ici. Son enfance passée au Sénégal et en Tunisie, ses études d'ingénieur et puis son désir, féroce, de retourner vivre en Afrique. Son installation à Essaouira date de 2014, lorsqu'il obtient l'autorisation de son employeur, une multinationale grenobloise, de travailler depuis l'étranger. «C'est à ce moment-là qu'il rencontre Maalaïne, se souvient Béatrice Gallay. Il l'a aidé à trouver un appartement. Ils étaient d'âge proche, [Maalaïne] parlait bien le français. Ils ont pris des cafés, Thomas a mangé plusieurs fois chez lui pendant le ramadan.» Mais rien de plus. Leurs relations se sont distendues après les attentats de Charlie Hebdo, quand Gallay est surpris par les propos tenus par son ami.

Attentisme de l’Etat français

Thomas a le profil d'un jeune homme sans histoire, le bon élève, sur lequel «la police française n'a rien trouvé», précise Béatrice Gallay. Pour elle, aucun doute, son fils est victime d'une erreur judiciaire basée sur des procès-verbaux qui ne correspondraient en rien à ce qu'il a déclaré à la police. Des PV rédigés en arabe, une langue que Thomas ne lit et ne parle pas. On y découvre que Gallay s'est converti à l'islam et qu'il croit dans les bienfaits du jihad. Une version que l'accusé réfute depuis sa première comparution devant un juge, après douze jours de garde à vue, le délai imposé par la loi marocaine dans les affaires de terrorisme.

Pour son avocat, le très médiatique Frank Berton, «toutes ces accusations sont risibles»: «Le dossier est vide. Thomas n'a pas le profil d'un converti et il n'existe même pas un document officiel qui le prouve.» Berton n'en est pas à sa première affaire au Maroc. En 2011, il défendait les familles des victimes des attentats de Marrakech. Il reproche cette fois à l'Etat français son attentisme et sa prudence, dans une affaire qui touche aux droits d'un de ses ressortissants. «C'est une violation de toutes les conventions internationales, un ressortissant doit s'exprimer dans sa langue, en présence d'un interprète spécialement désigné. C'est une réalité incontournable», soutient le ténor du barreau lillois. De son côté le Quai d'Orsay estime suivre l'affaire «avec attention, dans le respect de l'indépendance de la justice marocaine». Pas question de froisser Rabat, alors que les deux pays collaborent étroitement dans la lutte antiterroriste, et encore moins après la longue brouille diplomatique qui avait conduit à la suspension des accords de coopération judiciaire, en 2014.

La lutte antiterroriste, fierté nationale

En novembre, l'affaire a attiré l'attention des organisations internationales. Human Rights Watch (HRW), Amnesty International et la Fédération internationale des droits de l'homme adressent une lettre au chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, et au ministère de la Justice. Elles dénoncent un jugement en première instance fondé sur des «aveux douteux». «Jamais le juge n'enquête sur la véracité des PV de la police, traités comme une pièce sacrée qui ne peut pas être remise en question, avance Eric Goldstein, directeur adjoint Moyen-Orient, Afrique du Nord de HRW. C'est très répandu dans la justice au Maroc, surtout quand il s'agit de dossiers terroristes ou de questions politiques.»

Difficile d'obtenir une réaction des autorités marocaines, restées injoignables. Les affaires de terrorisme sont un sujet sensible. Depuis la création, en 2015, du Bureau central d'investigations judiciaires, sorte de FBI marocain, les démantèlements de cellules jihadistes sont très médiatisés : 40 au total, pour 548 terroristes arrêtés, selon les chiffres officiels. Une sorte de fierté nationale, brandie aux yeux de l'Europe et de la région. Une façon aussi de promouvoir «l'exemplarité du modèle marocain», si chère aux autorités.

En attendant son verdict en appel, Thomas Gallay aura passé onze mois dans une cellule de la maison d'arrêt de Salé, la plus ancienne du Maroc. Toutes ses demandes de mise en liberté provisoire ont été refusées. Pour son avocat, Frank Berton, l'issue du procès reste incertaine : «Il va falloir que les juges de la cour d'appel reconnaissent la violation des droits de l'homme. Et cela va nécessiter une certaine dose de courage.»

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