Désormais, ils osent la critiquer. Les musulmans de Birmanie, qui représentent moins de 5 % de la population, n’ont plus le même respect pour la lauréate du Prix Nobel de la Paix 1991. « Nous nous demandons pourquoi elle ne fait rien pour nous », s’interroge Mohamed (1), un jeune musulman de l’ethnie rohingya. Comme 100 000 autres, la plupart apatrides, il vit dans un camp de déplacés depuis les violences religieuses de 2012.

Le 9 octobre 2016, plusieurs groupes d’assaillants non identifiés ont attaqué trois postes frontières de cette région de l’ouest de la Birmanie, adossée au Bangladesh. L’armée a ensuite mené des « opérations de sécurité », tuant plus de 80 suspects. Certains sont morts en détention.

Les militaires sont suspectés de représailles contre la minorité rohingya, longtemps persécutée en Birmanie. L’ONU a affirmé recevoir quotidiennement des accusations de viols et d’exécutions extra-judiciaires dans cette région. Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi nie les faits relatés. Il reproche à la presse et aux organisations internationales de colporter des rumeurs. Pourtant, 65 000 Rohingyas ont fui les opérations militaires en trouvant refuge au Bangladesh ces trois derniers mois.

L’ONU craint des « nettoyages ethniques »

« Nous n’avons pas accès aux régions touchées par les opérations militaires pour évaluer les besoins humanitaires, et y répondre, regrette Pierre Péron, porte-parole de l’Agence pour la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) à Rangoun. Ce gouvernement est pire que le précédent (celui des anciens militaires) en ce qui concerne l’accès des personnels humanitaires. » Dans le nord de l’Arakan, les cliniques mobiles de santé primaire gérées par les organisations non gouvernementales sont fermées.

En Birmanie, Aung San Suu Kyi accusée de délaisser les Rohingyas

L’ONU n’hésite plus à critiquer le gouvernement d’Aung San Suu Kyi pour sa gestion de la crise arakanaise, qualifiée de « contre-productive » et focalisée sur le « court terme ». L’institution estime que les conditions de sécurité très instables dans l’Arakan ne peuvent justifier un blocage presque total de l’aide humanitaire ces trois derniers mois.

Elle a évoqué la possibilité de « crimes contre l’humanité » et demandé à Aung San Suu Kyi de se rendre sur place pour évaluer la situation, ce qu’elle n’a pas fait. Un représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés a parlé de « nettoyage ethnique », confirmant les allégations de « meurtres, massacres, viols et pillages ».

Auparavant très respectueux du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres États, les pays d’Asie du Sud-est font également feu sur le gouvernement birman. Une organisation malaisienne menace d’envoyer une flottille pour apporter une assistance humanitaire aux victimes des opérations militaires. Également ministre des affaires étrangères, Aung San Suu Kyi a dû reporter un voyage officiel en Indonésie, pays majoritairement musulman, où elle fait l’objet de fortes critiques.

L’indifférence des bouddhistes

En Birmanie, seule une partie de la presse et la communauté musulmane se permettent de détrôner l’icône de paix. La majorité bouddhiste (88 % de la population) ne s’intéresse guère aux événements qui secouent l’Arakan ni à leurs répercussions politiques. « Aung San Suu Kyi ne tient pas sa promesse, accuse Abu Tahay, le dirigeant rohingya du Parti pour le développement national dans l’Union, composé majoritairement de musulmans. Avant les élections de novembre 2015, elle s’était engagée à assurer une protection à tous les habitants du pays en accord avec la loi et les principes des droits de l’homme. Un gouvernement qui n’assure pas la sécurité des minorités n’est pas démocratique. »

Il reproche à Aung San Suu Kyi sa trop grande proximité avec les militaires. Selon lui, elle laisse le champ libre aux généraux dans l’Arakan afin qu’ils acceptent, en échange, les réformes prodémocratiques qu’elle souhaite mener. « Et ce sont les musulmans qui sont victimes de ces compromis », se lamente-t-il.

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La loi birmane sur la nationalité

La loi birmane sur la nationalité de 1982 spécifie que seuls les groupes ethniques pouvant faire la preuve de leur présence sur le territoire avant 1823 (avant la première guerre anglo-birmane qui a mené à la colonisation) peuvent obtenir la nationalité birmane.

Aux yeux de la Birmanie, les Rohingyas ne font pas partie des 135 minorités répertoriées. Elle les a donc laissés sans nationalité. Décrits par l’ONU comme une des minorités les plus persécutées au monde, les Rohingyas, qui sont 1,3 million en Birmanie, sont des musulmans apatrides dont le groupe le plus important vit dans l’ouest du pays, le reste au Bangladesh.

(1) Son nom a été changé à sa demande.