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Politique

Valls et la gifle : pourquoi les télévisions ont tort de diffuser l'image

Un jeune homme a tenté de gifler Manuel Valls, en campagne en Bretagne. L'image a été diffusée partout, sans retenue ni réflexion. Or, il est permis de douter qu'elle constitue, en soi, une information indispensable à offrir en pâture au grand public.

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Manuel Valls à Lamballe mardi

Lors d'un déplacement pour un meeting, Manuel Valls a reçu une gifle à Lamballe de la part d'un sympathisant d’extrême droite.

Capture d'écran Dailymotion

Quand on entretient le bruit médiatique, il ne faut pas s’étonner des effets qu’il produit. Au lendemain de la gifle reçue à Lamballe, et infligée par un gamin sympathisant régionaliste d’extrême droite, ce qui suffit en soi à discréditer le geste, son sens et sa portée, voici que Manuel Valls se retrouve moqué, ce mercredi matin, sur l’antenne de France Inter, par un auditeur sot, qui croit juste de lui jeter à la figure sa minable réjouissance : "La claque, on est en fait 66 millions à vouloir te la mettre. C’était juste trop bon ! Il a été parfait le bonhomme". Le propos est inepte, son auteur aussitôt coupé par le présentateur de l’émission, Patrick Cohen. Mais trop tard. Tout le monde l’a entendu.

Question : fallait-il revenir sur cette affaire qui, au fond, ne devrait pas être considérée comme une affaire ? Et question encore : fallait-il, télévisions et machines à propager les images, diffuser à l’envi la triste séquence de cette agression qui n’engage que son auteur, c’est-à-dire à rien ?

Dans la soirée de mercredi, l’image de la gifle a fait le tour des médias. Des chaines d’information continue aux JT de 20 heures en passant par le 20h de la jeunesse qu’est devenue l’émission de Yann Barthes, Quotidien. Qui s’est illustrée en présentant sous un autre angle l’agression, en mode implicite voyeur décomplexé, "chez nous vous verrez mieux". Et tous de dire, ceci est inacceptable. Et tous d’ajouter : voyez pas vous-même. Et personne pour s’interroger : que signifie ce geste ? Que dit-il de la France ? De nous ? De vous ?

Le geste d'un cerveau malade

Manuel Valls avant d’être moqué par le sot sur France Inter, avait accepté lui-même de commenter l’affaire. "Je le fais parce qu‘une société a besoin de règles et d’interdits. Nous sommes dans une démocratie : le débat, l’interpellation, la manifestation sont évidemment indispensables à la vie démocratique" a-t-il dit, ajoutant ensuite, "mais la violence, ça c’est inacceptable", avant de fournir lui-même le profil de l’auteur de la gifle, un "militant identitaire de l’extrême droite bretonne qui s’affiche aussi avec Dieudonné et Soral". Il n’aurait sans doute pas dû commenter. Parce que le fait ne méritait pas cet honneur.

Cette gifle ne dit rien de la France, des Français et de l’état de l’opinion. Elle est le geste d’un cerveau malade, ni plus ni moins. Probablement nourri par d’autres cerveaux malades, que la télévision a cru bon d’exhiber partout ces dernières années, y compris dans des émissions à prétention intellectuelle. Ce geste n’est rien et devrait être traité comme tel. La seule leçon qu’il emporte avec lui, c’est qu’il plait à des imbéciles semblables à l’auditeur de France Inter qui a cru bon de l’applaudir sur l’antenne de la radio publique. Mais ces imbéciles-là sont une permanence française. Ils ne sont pas le produit particulier d’une situation particulière. Ils étaient là hier. Ils sont là aujourd’hui. Ils seront là demain. C’est un contingent incompressible.

La gifle n’a que l’importance politique qu’à raison de son importance médiatique. Si elle n’avait pas été filmée, elle n’existerait pas. Elle serait tout au plus une brève, reléguée en bout de papier dans des reportages. "Et en marge de la visite de Manuel Valls, un militant d’extrême droite a tenté de le gifler. Il a été maitrisé très vite par la sécurité". L’incident aurait été clos aussitôt après sa survenance. Sans caméras, sans relais par la machine globale à produire des images, donc du commentaire, il n’y aurait pas d’affaire.

Le spectacle à tout prix

Considérons ce qui s’est joué ce mercredi. Tous ont passé l’image. Mais tous savaient qu’en vérité, elle ne signifiait rien. Qu’elle était dépourvue de sens. Donc de portée. Elle n’avait de valeur que spectaculaire. Un gamin imbécile a tenté de gifler un candidat à la Primaire de la Belle alliance populaire, ancien Premier ministre, et rien de plus. Cela ne vaut rien. Mais il fallait habiller la valeur spectaculaire de l’image. Lui donner un sens et une portée dépassant l’évidence. Il fallait qu’elle fût porteuse et révélatrice de l’état d’une société. Ce qu’elle n’est pas. Parce qu’à la fin des fins de la réflexion, on en revient toujours au même point : ce geste est celui d’un adolescent imbécile et ne révèle que l’imbécillité de l’auteur. Il ne dit rien. Il ne vaut rien. Il ne pèse rien. En soi, il n’existe pas.

Il se peut, on en convient, que le geste soit une invitation à imitation lancée à d’autres imbéciles, tel l’auditeur de France Inter. La grande confrérie des imbéciles se reconnaît ainsi, de par sa capacité à imiter. Que Noël Godin invente "l’entartage", ce qui est en soi aussi une forme de violence par et pour les imbéciles, et il est aussitôt copié par d’autres imbéciles. "L’entartage" n’a eu de succès que dans la mesure où la machine à images s’est empressée de lui faire de la publicité dans la durée. Idem pour "l’enfarinage". En 2012, Hollande, victime d’une imbécile illuminée. En 2016 Valls, victime d’un imbécile, par ailleurs collaborateur occasionnel d’une radio publique. Mais au fond, tout cela n’a pas d’autre sens que de mettre en valeur un spectaculaire qui n’a que peu à voir avec la politique.

Ces dernières années, en Angleterre, une autre catégorie d’imbéciles avait inventé un truc pour faire parler d’elle. Il s’agissait de se mettre nu, et de faire irruption sur la pelouse d’un stade football et de rugby, durant un grand match, afin de s’exposer au regard des caméras et jouir d’un moment de gloire aussi intense qu’éphémère. Au début, les télévisions ont jugé le procédé amusant. Tellement anglais. On filmait les "Streakers", so british. Mais les "Streakers" proliférant, par effet d’imitation, les télévisions et les fédérations sportives ont fini par juger la plaisanterie un peu maussade. Un "Streaker", c’est un match arrêté pendant de longues minutes. Une compétition perturbée et faussée. Des programmes décalés. Du coup, la sanction est tombée : il a été décidé que les "Streakers" ne seraient plus filmés le temps de leur performance. Ignorés. Niés. Anéantis. Le "Streaker" n’existe plus. Pas d’image, pas de quart de célébrité, pas de buzz. Et les "Streakers" ont fini par disparaitre. Evidemment.

Il est sans doute temps de traiter les "gifleurs", "entarteurs" et autres "enfarineurs" de la même façon que les Streakers. Dire qu’ils n’entrent plus dans le champ de l’information, et les traiter comme il convient, c’est-à-dire les ignorer. Ces gens-là n’existent que dans la mesure où ils sont reconnus, donc connus. Pour en finir avec ce qui n’est pas le révélateur d’un problème de société, au-delà du cercle incompressible du taux d’imbéciles dans toute société, il suffit de les effacer. Tout simplement. De faire preuve d’un peu de conscience et de responsabilité. De faire du journalisme en fait.

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