Portrait

Barbara Nowacka, au non des femmes

Cette militante féministe polonaise a mené avec succès la fronde contre le projet d’interdiction totale de l’IVG dans son pays.
par Catherine Mallaval
publié le 17 janvier 2017 à 17h06
(mis à jour le 17 janvier 2017 à 18h06)

«Nie.» «Non», en polonais. Voilà un mot que Barbara Nowacka, 42 ans, blondeur ramassée en petit chignon serré, silhouette fine glissée dans du noir, regard bleu qui ne plie pas, sait parfaitement dire. Clamer. Balancer. Parce qu'elle a justement dit non à une proposition citoyenne visant à faire de celles qui avortent des criminelles passibles de cinq ans de prison, parce qu'elle a incarné le comité Sauvons les femmes («Ratujmy Kobiety»), qui a envoyé valser ce projet dans les ronces, la voilà, en ce début de 2017, honorée par le prix Simone-de-Beauvoir pour la liberté des femmes.

Réception à Paris la semaine dernière. Sous les ors de la Maison de l'Amérique latine à Paris, perchée sur ses talons, Barbara Nowacka, féministe et politique engagée à gauche, remercie en citant… Simone de Beauvoir : «Chaque agression génère un état de guerre.» «Je voulais qu'elle ait ce prix. Son dossier était béton. Son combat pour le droit à l'IVG est important, même au-delà de la Pologne dans cette période défensive qui peut se révéler dangereuse pour les droits acquis», justifie l'académicienne Danièle Sallenave, membre du jury, qui n'a jamais oublié qu'en 1993 des images sanglantes de fœtus ont été accrochées dans des églises polonaises et des bonnes sœurs priées de dévaliser les pharmacies en contraceptifs… Barbara Nowacka acquiesce. Et monte le son : «Chez nous, tous les deux ans, ceux qu'on appelle les pro-life, en fait de vulgaires "antifemmes", tentent de remettre sur le tapis une prohibition totale de l'IVG. Mais cette fois, en septembre dernier, ils ont reçu le soutien de notre gouvernement dominé par les conservateurs du PiS, le parti Droit et Justice. Là, on s'est dit : "On est mal."» Elle lance un contre-projet. Récolte assez de signatures (quelque 250 000) pour présenter elle aussi une proposition de loi citoyenne autorisant l'IVG jusqu'à 12 semaines, une «vraie» éducation sexuelle avec un «vrai» accès à la contraception. «Seuls dix députés étaient susceptibles de me soutenir. Je me suis sentie seule quand j'ai défendu mon texte qui a été éjecté.» Très vite, le comité Sauvons les femmes recrute. Actrices, mannequins, intellectuelles se joignent. La grogne des Polonaises, depuis la première manif avec des cintres symboles des avortements clandestins, atteint son paroxysme le 3 octobre. Ce lundi-là, il a beau pleuvoir à verse sur le pays, près de 200 000 femmes vêtues de noir défilent. Celles qui n'ont pas pu se libérer partent travailler en tenue de deuil. «Je ne m'attendais pas à un tel mouvement. Même dans des villages, on a manifesté. Le projet a été retiré. Nous avons repoussé les fanatiques. Mais nous restons avec notre vieille loi. Certains la qualifient de "compromis" : quelle hypocrisie ! L'IVG n'est autorisée que dans trois cas : risque pour la vie ou la santé de la mère, grossesse résultant d'un viol ou d'un inceste, grave pathologie irréversible de l'embryon. Mais beaucoup de médecins invoquent leur clause de conscience pour ne pas faire d'examens prénataux», déplore celle qui, l'an passé, a été hissée au rang des 100 femmes les plus influentes du monde par le magazine Foreign Policy.

Question : Barbara Nowacka mène-t-elle un combat personnel ? A-t-elle avorté clandestinement ? «Non. J'ai deux enfants désirés, un garçon de 9 ans et demi, surnommé Koba, et une fille, Sophia de 6 ans et demi. Je précise qu'ils vont à l'école publique.» Mariée ? «Hors de question que j'épouse mon compagnon tant que mes collègues homosexuels n'auront pas les mêmes droits que moi.» Alors quoi ? «Ce combat est familial. J'ai grandi dans un environnement socialiste - et féministe - peu à peu désillusionné par le communisme. On débattait sans cesse. Et on lisait des livres interdits comme ceux de Soljenitsyne.» Son père, mathématicien, est recteur de l'Institut polono-japonais des technologies de l'information dont Barbara, informaticienne, gère les finances. Sa mère Izabela Jaruga-Nowacka a une formation d'ethnologue. Enfance entourée, petite sœur de cinq ans de moins. La famille est aux Pays-Bas, où son père enseigne à la fac quand, en 1981, le général Jaruzelski proclame l'état de guerre. «J'avais 6 ans. Mais je me souviens que nous sommes immédiatement rentrés en Pologne. A la frontière, on nous a demandé si on voulait vraiment retourner à Varsovie. Mes parents ont persisté. Ils voulaient être avec leur famille.»

Elle grandit inspirée par sa mère, membre de la ligue des femmes polonaises. En 1992, déjà, l'avortement est menacé d'être totalement interdit. «Ma mère a lancé une pétition demandant un référendum civique. A la maison, grâce au métier de mon père, nous avions un ordinateur. J'y rentrais le nom des signataires. En vain ! Tout a été jeté à la poubelle par le gouvernement.» Dès l'année suivante, le Premier ministre, une femme bras armé de l'Eglise, fait voter la loi sur l'IVG en vigueur. «Ma mère est alors entrée en politique. Elle a été élue députée. S'est battue pour l'égalité femmes-hommes.» Drame en 2010. Izabela est à bord de l'avion présidentiel polonais qui s'écrase le 10 avril à Smolensk. Pas de survivants. «Pendant un an, je me suis tue. J'ai coupé.» A cette époque, elle a pourtant déjà rodé son talent d'oratrice (elle a présenté une émission de télé pour la jeunesse durant son adolescence) et a tissé son réseau. Comme volontaire au sein de l'équivalent de notre Planning familial ou membre des jeunesses européennes socialistes. «J'ai fini par me reconnecter avec la sphère féministe. Organisé des conférences, poussé des femmes à s'engager en politique. Quand, en 2014, on m'a proposé d'être candidate aux élections européennes sur la liste Europa Plus, je ne pouvais pas refuser.»

Elle échoue de peu. Retour dans l'arène politique en 2015 : membre du parti Twój Ruch (parti social-démocrate et anticlérical dont elle est coprésidente), elle est désignée comme candidate à la présidence du Conseil des ministres en cas de victoire de la coalition de Gauche unie aux législatives. Qui n'atteint même pas les 8 % requis pour obtenir des élus. «La social-démocratie a du mal à être attrayante, à se renouveler. Comme chez vous, non ?» grince-t-elle avant de se préparer à regagner Varsovie, sur l'air du combat continue. «Grâce au mouvement des femmes, de plus en plus de Polonais sont favorables à une libéralisation de l'avortement. Des conservateurs aussi ont évolué. Les autres n'oublieront jamais toutes ces femmes en noir solidaires sous la pluie.» Ses alliées du jury du prix Simone-de-Beauvoir lui proposent de prendre un taxi pour rejoindre l'aéroport. C'est «Nie.» Elle veut tester le RER. Et se plonger dans son livre du moment :Vernon Subutex, de cette autre sacrée «meuf» qu'est Virginie Despentes.

1975 Naissance à Varsovie.

2010 Crée la Fondation Izabela-Jaruga-Nowacka, en hommage à sa mère féministe. Elle en assure la vice-présidence.

2015 Conduit Gauche unie aux législatives.

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