Décryptage

Le tirage au sort à l'entrée de la fac, toujours dans le flou juridique

Un projet d'arrêté devait clarifier le recours à cette pratique, avérée dans les faits. Le ministère l'a retiré sous la pression des organisations étudiantes, soucieux d'éviter tout conflit en veille de présidentielle, alors que la plateforme APB ouvre vendredi.
par Marie Piquemal
publié le 19 janvier 2017 à 10h17

La plateforme informatique APB (admission post-bac), qui file de l’urticaire aux terminales (et leurs parents), ouvre ses portes ce vendredi 20 janvier. Les futurs étudiants sont cordialement invités à formuler leurs vœux de formation pour la rentrée prochaine. Puis, à croiser les doigts. S’ils postulent dans une fac prisée où les places viennent à manquer, ils peuvent se retrouver à la fin départagés par… tirage au sort. Cette pratique, en baisse en 2016, a tout de même concerné 76 filières sous tension, soit 3500 élèves (3%) ainsi déboutés de leur premier vœu, indique le ministère.

Juridiquement, le recours au tirage au sort n'est pas solide. Pour se parer, le gouvernement a déposé un projet d'arrêté, soumis mardi au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), et prévoyant explicitement le recours au tirage au sort dans certains cas. Les organisations étudiantes ont aussitôt hurlé, voyant là «une forme de sélection inacceptable». Le gouvernement a plié, retirant le texte du vote pour le remettre à la discussion.

Pourquoi ce texte aujourd’hui?

Retour quelques mois en arrière. Au printemps dernier, la petite association Droits des lycéens, s'est fortement mobilisée pour dénoncer l'opacité d'APB, ce logiciel qui répartit donc quelque 860 000 élèves dans les filières de l'enseignement supérieur. L'association reprochait le manque de transparence de l'algorithme, avec ce sentiment, partagé par de nombreux étudiants, de jouer leur avenir à la roulette russe. Les notices de paramétrage d'APB, que Libération avait consultées au début de l'été, montrent en effet que les organismes de formation (et donc les universités) ont la possibilité théorique de trier les élèves.

Le Code de l'Education stipule pourtant que tout titulaire du bac doit pouvoir accéder à l'université de son choix. Quand les capacités d'accueil sont atteintes, prévoit la loi, le recteur d'académie tranche en fonction «du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci.» Cette formulation, assez floue, se traduit dans les faits dans certains cas par un recours au tirage au sort, pour départager les élèves… Les mots «tirage au sort» n'apparaissant clairement dans aucun texte, des avocats se sont engouffrés dans cette brèche juridique pour contester des refus d'admission. Maitre Jean Merlet-Bonnan à Bordeaux, qui conseille l'association Droits des lycéens, et ses confrères ont ainsi gagné plusieurs batailles depuis la rentrée. «En septembre, le tribunal administratif de Bordeaux a clairement indiqué que le tirage au sort devait être explicitement prévu par un texte officiel pour être pratiqué», dit-il. Ce projet d'arrêté s'inscrivait dans cette logique. Déjà évoquée par l'entourage de la ministre Najat Vallaud-Belkacem en juillet dernier dans Libé, l'idée était donc de sécuriser juridiquement la pratique, pour se parer à toute flambée de contentieux.

Quels changements en vue?

Aucun, pour l'instant. D'abord parce que le texte, soumis à la discussion mardi, a finalement été retiré du vote pour être discuté avec les organisations étudiantes. Jimmy Losfeld, le président de la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), est ressorti mercredi matin du ministère de l'Enseignement supérieur avec la conviction qu'aucun texte ne serait remis sur la table avant la présidentielle. «Ils ne veulent pas d'un bras de fer à la veille de l'échéance électorale.»

Traduction pratique : on reste dans un flou juridique, avec un tirage au sort, pas encadré explicitement par les textes mais qui pourra continuer à exister. «D'une certaine manière, ce projet d'arrêté était une avancée puisqu'il régularisait une pratique existante, cela avait le mérite de la porter à la connaissance de tous», pointe l'avocat bordelais. Ce projet d'arrêté précisait aussi les critères utilisés pour départager les candidats, avant de recourir au tirage au sort. Ainsi, «la situation de famille», évoquée dans le Code de l'Education, aurait donné la priorité aux étudiants mariés, pacsés ou ayant des personnes à charge.

Et le débat sur la sélection à l’université ?

Le tirage au sort ne convainc personne, gouvernement compris. «Cette solution ne satisfait personne bien entendu, et nous continuons à tout faire pour limiter au maximum le nombre de candidats concernés», assurait encore le ministère de l'Education nationale. Et de poursuivre: «Il n'y a pas cinquante solutions. Soit on augmente le nombre de critères pour ainsi reculer le recours au tirage au sort, mais se pose la question de savoir lesquels. Soit on recourt à la sélection, ce qui serait une solution simpliste. Nous y sommes opposés, nous tenons à la mission de service public de l'université.»

Pour l'Unef, l'existence même d'un texte sur le tirage au sort serait déjà «un premier pas vers une sélection» et donc «totalement inacceptable», dit Lilâ Le Bas. «Le vrai enjeu, c'est une meilleure gestion du flux des étudiants, estime Jimmy Losfeld de la Fage. Cela passera par une réforme et plus de moyens alloués aux universités». Le gouvernement ne veut pas ouvrir le débat sur la sélection à l'entrée de l'université, en veille de présidentielle. Cela risque pourtant d'être l'un des sujets de la campagne, François Fillon (le candidat LR) a inscrit dans son programme l'instauration de «prérequis» à l'entrée de la fac.

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