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Rencontre

Le boxeur Souleymane Cissokho : «L’humain n’est pas fait pour recevoir des coups»

Le boxeur francilien, médaillé à Rio, dispute son premier combat pro samedi. Cet esthète des rings garde son équilibre en suivant un cursus universitaire.
par Ramsès Kefi
publié le 20 janvier 2017 à 18h26

Samedi soir à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Souleymane Cissokho, médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Rio, disputera son premier combat chez les professionnels face à Viguen Gulnazarian, dans la catégorie des super-welters (moins de 69,853 kg), un duel franco-français. On insiste souvent sur le fait que les amateurs doivent changer leur manière d'appréhender la boxe pour faire la transition entre les mondes. Soit : plus de rounds et de cogne chez les pros, genre marathon du ring. Le capitaine de l'équipe de France de boxe aux derniers Jeux est d'accord. Mais précise : «Tout de même, ça reste de la boxe.» On l'a rencontré à la fac de la Sorbonne, en novembre, face à la salle des professeurs. La belle histoire : la boxe entre à l'université, en master de droit du sport. Les temps changent. Dans un passé proche, les boxeurs français étaient des perdants que l'on racontait comme anonymes, à travers des récits de solitude. Depuis le Brésil, plus de stigmate : six médailles olympiques pour les Bleus en donnant l'envie d'être leur pote.

A Rio, on avait laissé Cissokho derrière une petite barrière, expliquant aux médias qu'il n'en voulait pas à l'arbitre d'avoir arrêté le combat. Quelques minutes plus tôt, le Français avait été disqualifié en demi-finale pour un coup de tête involontaire sur son adversaire kazakh, Daniyar Yeleussinov, futur champion olympique. Il avait remercié les journalistes de l'avoir écouté, comme s'ils étaient venus sur leur temps libre. Là-bas, des proches nous l'avaient portraitisé ainsi : 25 ans, avec un profil d'intello discret, qui fut un temps dans l'ombre de feu Alexis Vastine (l'un des plus doués de sa génération) dans sa catégorie sans jamais moufter. Un type qui sait apaiser les egos dans une équipe, qui tient la porte à tout le monde avec le sourire et qui est impliqué dans deux associations pour des gamins dans le XIXe arrondissement de Paris (où il a grandi) et à Dakar (où il est né). On a demandé au Français, qui s'entraîne entre Bagnolet et l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance, véritable fabrique des champions français), de développer cinq thématiques, qui balaient la période allant des JO à son passage chez les pros.

Infiltration et Liens du sang

«Quand je suis rentré en France, certains me répétaient que l’arbitre de la demi-finale m’avait volé. Même après-coup, même en entendant ça, je n’ai pas réussi à l’interpréter dans ce sens-là. Je revenais de très loin à Rio. Pendant deux ans, j’ai enchaîné pas mal de pépins physiques. Qui aurait dit que je ramènerais le bronze des Jeux ? Un jour après mon arrivée au Brésil, j’étais sous infiltration à cause d’une blessure à la main.

«Pour la douleur, il a fallu prendre des anti-inflammatoires. Pendant trois, quatre jours, j'avais interdiction de taper. D'ailleurs, on parle de la médaille, mais la qualification olympique est encore plus dure que la compétition en elle-même. C'est un truc de fou : j'ai dû enchaîner six combats pour me qualifier fin juin, donc à la dernière minute. J'ai aussi tenu à ramener ma médaille au Sénégal. Des membres de ma famille y sont encore. Là-bas, beaucoup de gens se sont sentis fiers. Vraiment, c'est une drôle d'histoire : El Hadji Amadou Dia Ba, le seul sportif sénégalais à avoir remporté une médaille olympique [l'argent en 1988 à Séoul, sur 400 mètres haies, ndlr], fait partie de ma famille.»

La politique et le discours

«On m'a souvent demandé si nous étions briefés par l'encadrement pour parler de "vivre-ensemble" au Brésil. Pas du tout. Après, le grand public pense parfois qu'un sportif vit dans un monde à part et qu'il n'est pas touché par ce qui se passe dans l'actualité. Et c'est une erreur. A aucun moment on a joué la comédie. Notre message était simple : des jeunes avec des origines et des parcours différents qui revendiquent leur fierté d'être français. C'est aussi une affaire de timing : je pense qu'après les attentats, beaucoup de personnes avaient besoin de voir ces parcours-là, d'entendre ces mots-là. La boxe est étalée sur toute la quinzaine olympique, ce qui nous a donné une visibilité sur la durée dont ne bénéficient pas certains sports. On nous a comparés à la natation [dont les compétitions ne se tiennent que la première semaine des Jeux, ndlr] qui marchait bien moins que nous : sans cracher sur nos collègues, je pense que ça nous a aussi un peu profité.

«Pendant la compétition, des journalistes voulaient nous faire assumer la portée politique de nos médailles. Je n’ai pas voulu rentrer là-dedans. En quoi est-ce politique ? Je n’en sais rien. Et puis comme ça, en pleine compétition, ça peut vite devenir un piège, d’autant que nos propos pouvaient être utilisés de manière pas forcément bienveillante.

«On a toujours recentré ce discours en parlant du sport. On gagne pour la France, en représentant une discipline qui jusque-là était dans le creux de la vague [une seule médaille d'or française depuis 1936 avant les Jeux de Rio, ndlr]. Pourtant, une chose est sûre : pendant la quinzaine olympique, les boxeurs ont fédéré. Jusqu'où, je ne sais pas, mais j'ai reçu tellement de messages sur les réseaux sociaux, que je n'ai pas encore terminé de les lire. Des jeunes, des vieux, des politiques - y compris un issu de l'extrême droite. Là, je ne parle pas de tentatives de récupération, juste de félicitations et de merci.»

Sorbonne et gamberge

«Après Rio, les sollicitations des marques et des sponsors ont explosé. Concrètement, médaillé olympique ou pas, un boxeur est livré à lui-même pour négocier ses contrats. Tu comprends alors que tu rentres dans un business. Combien d’anciens boxeurs se sont fait avoir par des promoteurs ? Et je ne parle pas seulement de sous. La boxe n’est pas le football. Si j’avais bossé, j’aurais eu plus d’argent que j’en ai aujourd’hui : le statut de sportif de haut niveau est une galère.

«Il faut plutôt remettre ça dans le contexte d’une carrière courte et imaginer de raccrocher sans avoir aucune formation derrière. A l’Insep par exemple, tu es assisté pour tout. Dès que tu en sors, c’est un choc. Si tu n’es pas armé, ça peut être très compliqué, ne serait-ce que pour remplir des papiers. C’est une chance d’avoir pu intégrer un cursus de droit. D’un point de vue professionnel, ça coïncide avec une réalité : un sportif qui gère sa carrière est sans cesse confronté au droit. Qualités pugilistiques ou pas, avoir un bagage pour bien lire un contrat et déceler des failles est quelque chose de précieux. La preuve : bien que je commence à peine, des potes sportifs m’appellent déjà pour demander des conseils. D’un point de vue personnel, mes parents ont toujours insisté sur l’école. Mon père a un bac S, il était conseiller dans une banque. Ma mère, même si elle est moins diplômée, a fait des études aussi. La Sorbonne est un lieu mythique pour mes parents. Quand j’ai été admis, ils avaient les yeux qui pétillaient. Durant ma carrière, je n’ai jamais lâché les cours. J’ai toujours trouvé ça nécessaire pour la gamberge.»

Méchanceté et esthétisme

«On dit qu’il faut être plus méchant quand on passe chez les pros. Qu’il faut chercher à mettre systématiquement plus de force. Je crois que c’est une idée reçue parce je ne considère pas qu’il y ait une vérité absolue, qui vaut pour tout le monde. J’aime la belle boxe. C’est celle que je veux voir, qui m’a convaincu de pratiquer ce sport. Et c’est cette boxe que je veux donner au public.

«Je favorise énormément l’aspect esthétique et technique, qui consiste à s’adapter sans forcément chercher d’emblée à faire mal. C’est mon point de vue, qui explique peut-être pourquoi on m’a collé une étiquette de boxeur qui cogne moins. Pourtant, j’ai toujours eu une bonne frappe. Simplement, je ne l’ai pas toujours utilisée comme il se doit. En fait, je dirais que ma boxe vise à prendre le moins de coups possible. Je les accepte, sinon je changerais de discipline, mais je pars d’un principe : même si certains aiment ça, l’être humain n’est pas fait pour recevoir des coups.»

Récit et plateaux télés

«Je suis sollicité pour des interventions un peu partout. Forcément, un sportif qui vient d'un milieu populaire et qui n'a pas lâché les études plaît. Jusqu'à 4 ans, j'ai vécu à Villiers-le-Bel dans le Val-d'Oise, avant d'emménager dans le XIXe arrondissement de Paris. Avec les autres membres de l'équipe de France, je suis fier de casser l'image de "boxe, sport de voyou", ou "boxeur qui ne fait rien de sa vie à part donner des coups". On contribue à faire parler d'elle en bien, à préparer le terrain à la nouvelle génération. Ma carrière n'est pas finie, bien sûr. J'estime cependant avoir fait ma petite route.

«Il y a des plateaux de télévision que je refuse. Je ne sais pas trop comment l'expliquer. Disons que l'image du boxeur doit coïncider avec une histoire. Mathieu [Bauderlique] le gars du Nord, Sarah [Ourahmoune] maman et entrepreneuse, Tony [Yoka] la star. A terme, je voudrais ouvrir une académie de sport, continuer dans l'associatif, mais je ne ressens pas forcément le besoin de le mettre en avant partout. Je sais délirer, ce n'est pas le problème, mais je ne veux pas faire des choses qui me desserviraient plus tard et qui entreraient en contradiction avec la personne que je suis. Moi, je suis capitaine et plutôt discret.»

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