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Voilà pourquoi Jean-Jacques Goldman ne chantera plus

Alors qu’il vient de s’installer à Londres, son ami et complice Fred Hidalgo retrace dans un livre la vie et le parcours de cet artiste secret qui a toujours fui le star-system.

Temps de lecture: 7 min

Fred Hidalgo, votre amitié avec Jean-Jacques dure depuis plus de 30 ans. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de lui consacrer un ouvrage ?

Parce qu’au départ, je voulais l’écrire avec lui, à quatre mains. Mais il n’était pas du tout partant. Il m’a dit : « Écoute, tu me connais, jamais je ne participerai à un ouvrage me concernant. Mais si tu veux écrire un livre sur moi, fais-le. Ce sera le tien et on n’en parlera plus. » Écrire une biographie journalistique détaillée ne m’intéressait pas. J’ai donc eu l’idée de travailler à partir des nombreux entretiens exclusifs que nous avons eus pendant 30 ans. C’est un récit et un témoignage, à la fois personnel et professionnel, qui s’étale sur plusieurs décennies, avec des confidences et beaucoup d’anecdotes. En décembre 1985, il avait été touché par un dossier que je lui avais consacré dans ma revue Paroles et musiques. Des liens de confiance et une amitié se sont très vite tissés au fil du temps. Je suis devenu son interlocuteur privilégié.

Pourquoi est-il si réticent à l’idée de faire un livre ?

Jean-Jacques est quelqu’un de simple, de discret et de très humble. Il déteste qu’on parle de lui parce qu’il estime qu’un chanteur ne mérite pas toutes les flatteries, les louanges et l’attention qu’on peut lui porter. Il me disait souvent que des gens illustres comme l’abbé Pierre ou le Dr Schweitzer méritent qu’on écrive sur eux, mais qu’il faut relativiser parce que les chanteurs ne font que des « chansonnettes ». Je peux même vous dire que de tous les livres qui sont parus sur lui, il n’en a pas lu un seul. À propos des hommages, à l’occasion de ses 65 ans, il m’a dit : « Comme d’habitude, je ne regarderai pas les documentaires et je ne lirai pas les articles ni les livres qui paraîtront ! » Ce n’est, évidemment, pas du mépris. Jean-Jacques est comme ça : il pense juste qu’il ne mérite pas ça. J’ajoute qu’il n’aime pas se voir ni s’entendre. Il n’écoute jamais ses disques, par exemple. Il me dit : « Quand j’entends l’une de mes chansons à la radio, à ce moment-là, j’écoute parce que je suis interpellé. Je me remets alors dans le contexte de l’époque où je l’ai écrite. Je me dis parfois : « Tiens, ça fonctionne pas mal », ou « Là j’aurais dû faire telle chose pour l’améliorer ». »

Qu’est-ce qui vous a séduit chez lui ?

Au début des années 1980, quand les chanteurs étaient dans la revendication et levaient le poing, il faisait passer un tout autre message. Le sien, c’était plutôt de ne jamais chercher un bouc émissaire mais d’essayer d’arriver, par soi-même, à forger son propre destin. Personnellement, ce « message » positif, qui s’adressait à la jeunesse de l’époque, me séduisait énormément. Et puis, quand j’ai rencontré l’homme, j’ai découvert quelqu’un d’absolument délicieux à tous points de vue. Il est d’un naturel empathique envers les gens. Il est très attentif aux personnes qui le suivent. Il a, par exemple, toujours pris la peine de répondre lui-même à son courrier. Vous savez, c’est quelqu’un qui n’a jamais triché ni déçu qui que ce soit.

Est-ce pour ces raisons qu’il est devenu aussi populaire ?

Oui, et pour ses chansons bien entendu. Il faut tout de même revenir à l’essentiel. Pour moi, Jean-Jacques est un magicien de la chanson, parce qu’il a l’art de créer des mélodies qui entrent dans l’oreille et dans le cœur des gens, avec des paroles qui parlent de solidarité et de choses positives et constructives. C’est aussi quelqu’un qui met à égalité les paroles et la musique. Donc, il y a d’abord ses chansons, c’est sûr, et puis sa discrétion, qui est unique. Je pense qu’il n’y a, dans l’histoire, aucun autre chanteur, avec une telle carrière et une telle notoriété, qui soit resté aussi discret que lui.

Comme pour Jean Ferrat, diriez-vous qu’il a « signé un bail de tendresse avec le public » ?

Absolument, parce qu’il est de la même « famille » que Jean Ferrat, dans le sens où il est aussi humble et discret que lui, et qu’il souhaite surtout qu’on parle de ses chansons. Comme chez Brel et Ferrat, Goldman provoque les mêmes sentiments auprès du public. Ce sont des rapports extrêmement affectueux et discrets.

“Ce qui a vraiment décidé Jean-Jacques Goldman à tout arrêter, c’est son changement de vie”

On imagine que pour faire ce métier très exposé, il a dû prendre sur lui…

Quand il travaillait dans le magasin d’articles de sport de ses parents, à Montrouge (en banlieue parisienne, ndlr), Jean-Jacques écrivait des chansons pour les proposer à des interprètes. Il est presque devenu chanteur par hasard. Encore aujourd’hui, il lui arrive de se demander si tout ça n’a pas été un malentendu. Pour son premier album, le producteur avait dit : « J’aime les chansons. Je veux bien faire l’album si c’est le chanteur des maquettes qui les interprète ! » Lorsque Jean-Jacques chantait dans le groupe Taï Phong, il était d’accord pour chanter sur les disques, pour répéter les morceaux, mais pas question de monter sur scène. C’est comme ça qu’il a fait la connaissance de Michael Jones, qui avait été engagé comme doublure de Jean-Jacques sur scène. Le succès venant, il s’est forcé à faire des concerts pour ne pas trahir les gens qui aimaient ses chansons. Et puis, il a pris goût à la scène au point qu’elle en devienne presque indispensable pour lui.

Comment travaille-t-il avec Céline Dion ?

Jean-Jacques a toujours apprécié les grandes voix. Aretha Franklin était l’une de ses idoles. Quand il a entendu Céline pour la première fois, il a été bouleversé. Lorsqu’il travaille pour les autres, Jean-Jacques a cette faculté incroyable de mimétisme avec l’interprète. Quand il écrit « Encore un soir » pour Céline, c’est comme s’il était dans sa peau. Si elle était auteure, elle aurait pu écrire ce texte. Du jour où il s’est penché sur Céline, il est entré dans sa peau et lui a fait des chansons sur mesure. Et quand ils travaillent ensemble, ce n’est pas à 6 000 kilomètres de distance. Ils sont ensemble dans le studio, Jean-Jacques produit les chansons et lui donne même, quelquefois, des indications sur la manière d’interpréter les morceaux. Entre eux, il y a une amitié très forte qui va bien au-delà du métier.

Qu’est-ce qui a motivé sa décision d’arrêter sa carrière de chanteur en 2002 ?

En fait, il lui a fallu plusieurs années pour se rendre compte que cet arrêt était définitif. Parce qu’au départ, il souhaitait simplement prendre de la distance avec la scène. Ce qui l’a vraiment décidé à tout arrêter, c’est son changement de vie. En octobre 2001, il épouse Nathalie, sa seconde femme. Le couple s’installe à Marseille et donne naissance à une fille, Maya. Il y aura ensuite Kimi et Rose. Jean-Jacques s’est alors dit que la vie lui donnait une deuxième chance et qu’il pouvait, cette fois, réussir la vie de famille qui lui avait échappé avec ses trois premiers enfants. Il apprécie de les emmener à l’école et de s’occuper de leurs devoirs.

Et comment interprétez-vous son installation en Angleterre ?

Que ce soit clair : son départ n’a strictement rien à voir avec un éventuel exil fiscal, comme on a pu le lire partout. Jean-Jacques a toujours dit son amour de la France et sa reconnaissance envers le pays qui a accueilli ses parents. Il continuera donc de payer ses impôts dans l’Hexagone. Ça correspond surtout à une envie et un besoin de retrouver l’anonymat le plus complet. Quoi de mieux qu’un pays non francophone où il n’est pas connu ni reconnu ? De plus, l’Angleterre offre des atouts culturels supplémentaires à ses filles, leur permettant de découvrir un autre mode de vie et de devenir parfaitement bilingues. Il est probable aussi que le fait que les prochaines élections présidentielles françaises risquent de porter au pouvoir des gens dont il a toujours combattu les idées extrêmes a pu être un élément de plus pour faciliter son éloignement momentané.

Pensez-vous qu’il a définitivement mis un terme à sa carrière ?

Oui, c’est clair. Vous savez, Jean-Jacques m’a dit un jour : « Je suis allé beaucoup plus loin que mes rêves. Jamais je n’aurais rêvé ce que j’ai vécu ! »

« Jean-Jacques Goldman confidentiel », Fred Hidalgo, éd. l’Archipel, 572 p., 23 €.

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