Suivi par près de 87 000 fans, Philippe, alias Philousports, n’est rien de moins que le « roi du gif ». Un tweet après l’autre, ce franc-tireur super pop torpille joyeusement l’actualité sportive et (aussi) politique. Pas de doute, chacune de ses punchlines va droit au but.
« Un troll gentil« . Voilà comment Philippe définit ses « philouteries ». En apparence, un jeu de mots enfantin. Dans les faits, le nom donné aux tweets que poste (très) régulièrement ce spectateur expérimenté, à raison de cent par jour. En réduisant à l’état de boucles les moments forts – et détails incongrus – des compétitions sportives (rugby, football, handball), cet « addict au gif » provoque l’hilarité des connaisseurs 2.0…et celle des journalistes professionnels. Sacré Roi en son domaine, Philippe a définitivement adopté le pseudonyme de « Philousports ». Et a fait des réseaux sociaux son terrain de jeu.
Son truc, c’est Le Zapping
Bouna c'est moi quand j'oublie d'enlever un frein pic.twitter.com/jNbVZSryVm
— Philou (@philousports) January 15, 2017
Du haut de son Cap Corse, cet humble « fan de sports et des sportifs » est devenu en cinq ans le pro du décalage. De matches en Coupe du Monde, il a vu sa notoriété croître sur Twitter, et, enfant de Télé Foot, s’est fait adopter par la culture web, celle des mèmes et des forums. Myopathe, il subit une trachéotomie à l’adolescence. C’est par ses posts récurrents que cet amoureux des parodiques Marcels d’Or parvient à faire porter sa voix, d’ordinaire essoufflée. Le tweet lui permet même de dédoubler sa parole : les yeux rivés sur Eurosports, BeIN Sports ou Lequipe TV, il capture l’émotion en direct (grimace, fail, geste), la fait glisser sur la toile et l’enrichit d’une accroche. Comparez ses compils de tacles à un Vidéo Gag du milieu sportif et il vous répondra du tac au tac : « Video Gag ? ‘tain, j’ai la tête d’Alexandre Debanne ?« . Non, son truc à lui, c’est le Zapping de Patrick Menais, cet impulsif besoin de « détourner un truc sérieux« . Mais sans jamais sombrer dans la dictature du fail propre à la culture du web : « J’ai mes limites : par exemple, si au rugby un mec se prend un mega plaquage, je vais attendre qu’il se relève pour en rire. La chute me fait rire seulement si derrière il n’y a pas de conséquence grave…et de manière générale, j’essaie à ma modeste place de montrer que le sportif c’est pas un debilos. Je déteste les généralités« .
jsuis en larmes , j'en peux plus pic.twitter.com/fr85Zz1rtx
— Philou (@philousports) January 14, 2017
Un « vrai plus » face à la vieille école des commentateurs traditionnels
Tir gagnant : tous les journaliste se l’arrachent. Grégoire Margotton le fait intervenir dans Club 26 (sur LCI), L’équipe l’interroge sur ses perles de l’année, Yahoo Sports l’engage en octobre 2016 afin de commenter en live les prouesses de l’OM, du PSG et de l’équipe de France, Isabelle Ithurburu l’encourage sans relâche depuis quatre ans. Visage familier des amateurs de rugby et des spectateurs du Tube, la trentenaire de Canal décrit son ami comme un « vrai plus » face à la vieille école des commentateurs traditionnels :
« Le commentateur est là pour donner l’information, sans jugement. Philippe est un spectateur (très assidu !), donc il se permet de dire ce qu’il pense. Le journaliste sportif peut tenter une pointe d’ironie, mais tourner chaque info/image en dérision, même quand on sait que tout le monde le pense tout bas, c’est impossible. On est sensé rester neutre, et surtout, on se doit de prendre en compte l’entièreté de notre public »
quand on me dit que ya des frites prévues au repas @Hand2017 #phenomenalhandball #Handball2017 pic.twitter.com/bTl4EvAaGQ
— Philou (@philousports) January 19, 2017
Sur Yahoo Sports, il navigue en électron libre et ajoute son grain de sel, « du second voire du troisième degré« , dans un domaine où l’humour a tout de la prouesse athlétique. Loin des sempiternelles grasseries de certains commentateurs bien connus du grand public, la philouterie a plus à voir avec l’impertinence complice et moderne d’un Julien Cazarre, le tireur caustique du talk-show +1, portraitiste au vitriol que Philippe juge d’ailleurs « très bon dans son style« .
Ce goût du tacle taquin semble pourtant bien étranger aux médias traditionnels. « Comme les journalistes sportifs sont assez dépendants de leurs sources premières, les joueurs, c’est une position toujours délicate de faire de l’humour, cela nécessite un équilibre à trouver avec l’interlocuteur. Il est très difficile d’être vraiment drôle à la télé en parlant de sport, il faut un certain recul sur soi-même et une bonne dose d’autodérision » nous confirme Julien Momont, journaliste chez SFR Sport et co-auteur de la bible tacticienne Comment regarder un match de foot ?, charmé par ce dribble constant entre « ce traitement décontracté du sport » et « l’érudition, évidente dans les traits d’esprit très drôles associés aux images« .
Je suis pas journaliste jai le droit d'exagérer
— Philou (@philousports) January 14, 2017
Un mauvais esprit au Quotidien
— Philou (@philousports) January 14, 2017
« Je ne suis pas journaliste, j’ai le droit d’exagérer » nous rappelle le twitto. Comme une note d’intention. Le revers de l’exagération, voilà une chose que ce marseillais à la bonne bouille chaleureuse connaît bien. En décembre 2014, il fait l’objet d’une mise en demeure par la Ligue de Football Professionnelle, pour violation du droit à l’image. Qu’à cela ne tienne, il n’en perd pas pour autant son libre esprit, inspiré par la télé d’Alain de Greef, des Nuls, l’émission aux Guignols de l’Info. De l’humour concentré, asséné à l’instant T, de « l’info brut« , loin des « analyses journalistique a froid« , détaille Philippe. Les décrypteurs qui l’intéressent sont ceux, indépendants, des Cahiers du Football. On hésitera d’ailleurs pas à relier les gifs de Philou à leurs Diaporamas, suites de rebondissements caustiques sur les événements marquants. « L’humour c’est comme le sport : pour être un footballer doué, il faut travailler » nous assure à ce titre Jérôme Latta, rédacteur en chef du magazine de foot et d’eau fraîche.
Un sport abondamment pratiqué au sein des réseaux sociaux, là où se joue le « game » de supporters assidus devenus « influenceurs« . Avec ses milliers d’abonnés et son humour instantané, Philou évolue dans la cour d’Eddy Fleck, Zenon Zadkine et autres SeriousCharly, ces experts du web (devenus community manager pour certains) dont les échanges humoristiques font office de plat de résistance face aux sempiternelles soirées bière/foot/pizza. « Yahoo Sports a compris l’intérêt d’utiliser un talent comme celui de Philousports pour attirer les audiences, proposer un contenu intéressant, s’affranchir de la forme conventionnelle du commentateur » nous explique Jérôme Latta, « car l’humour du net enrichit le show sportif, permet l’expression d’une opinion plus tranchée et singulière, plus relayée également, et, surtout, créé une expérience collective d’expression directe, alors qu’avant on était plus isolés face à l’écran de télévision, pas encore relié à une aussi grosse communauté« .
en angleterre ca ne se siffle pas @Hand2017 #Handball2017 #PhenomenalHandall pic.twitter.com/l52rBWTKSr
— Philou (@philousports) January 17, 2017
Cette grosse communauté, Philippe l’aime. Et c’est réciproque. En février 2015, Lawrence Leenhardt, correspondante pour L’Equipe à Bordeaux, lançait une cagnotte sur le site de financement participatif Leetchi afin de lui offrir de toute urgence un nouveau fauteuil. Résultat ? 12 000 euros récoltés en moins de vingt-quatre heures. Il faut dire qu’il y a dans l’amusement de Philippe une dimension aussi vacharde que citoyenne. Très au fait de l’actu, il regarde Quotidien et soutient Explicite, la chaîne d’information lancée par les anciens salariés d’iTélé. Quand il n’est pas occupé par sa passion du ballon, il livetweete les débats des primaires ou, plus récemment, la cérémonie d’inauguration de Donald Trump.
-et vous pinel votre avis sur trump
– putain j'ai pas révisé le sujet pic.twitter.com/eB2mP3TBS1— Philou (@philousports) January 19, 2017
Une initiative de voix-off satirique à la sauce infotainement, du type à ravir les jeunes férus de Quotidien. « Tout ce qui est ludique, tout ce qui va vite, colle parfaitement à la génération des millenials, pas tant parce qu’ils n’aiment pas l’info classique proposée, mais parce qu’il y en a trop. Aujourd’hui sur les réseaux sociaux, on est abreuvé d’infos, alors forcément, quand c’est drôle, ça sort du lot…mais Philippe ne tombe jamais dans la facilité. Jamais de coup bas. Ce qui est très rare sur Twitter, » constate sa complice Isabelle Ithurburu. Alors que 2017 débarque avec les premiers épisodes décapants de Vu et la salve de gifs Franceinfo, Philousports sait que sa philosophie de potache critique lui va comme un gant. Elle convient parfaitement à l’air du temps.
radar a seum ? ok ! pic.twitter.com/LlFSqkgfWc
— Philou (@philousports) January 20, 2017