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Primaire de la gauche : pourquoi le doute persiste sur les chiffres du scrutin

Le Parti socialiste se perd en explications sur le taux de participation. Quelques calculs simples prouvent bien qu’il y a eu une manipulation de ce chiffre.

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Publié le 23 janvier 2017 à 16h02, modifié le 24 janvier 2017 à 09h56

Temps de Lecture 4 min.

28 %

C’est le chiffre magique qui montre bien comment la haute autorité de la primaire a manipulé le nombre de participants du premier tour, dimanche 22 janvier. Il est assez facile à établir :

Voici une capture d’écran des résultats tels qu’ils apparaissaient sur le site de la primaire lundi à 0 h 45 :

Et voici ceux que donnait le même site lundi dans la matinée :

On le voit, les pourcentages restent quasi identiques (à 0,1 point près pour Sylvia Pinel), mais le nombre de voix n’est plus le même : précisément, il y en 352 013 de plus.

Un ajout de 28 % pour chaque candidat

Comment est-il possible d’augmenter le nombre de voix sans modifier la répartition de celles-ci ? C’est toute la question. Nous avons calculé rapidement combien chaque candidat a gagné de voix :

Gain de voix par candidat entre dimanche soir et lundi matin
Selon les chiffres donnés sur le siteresultats.lesprimairescitoyennes.fr/.

Mais si on fait le même graphique en valeur relative, c’est-à-dire en pourcentage, voici ce qu’on obtient :

Gain de voix en pourcentage par candidat
Selon les résultats affichés sur le site resultats.lesprimairescitoyennes.fr

En clair, les 352 013 voix ont été réparties à quasi-égalité (à quelques décimales près) entre tous les candidats, ne modifiant donc qu’à l’extrême marge les résultats constatés à 21 heures dimanche. Ce qui serait sinon impossible, du moins très fortement improbable, naturellement.

Alors d’où vient le problème ? Christophe Borgel, président du comité d’organisation de la primaire, interrogé par Libération, parle d’un « bug » :

« Il y a eu un bug, rien de plus. Et c’est un peu de ma faute. Il y avait beaucoup de pression autour du niveau de participation. J’ai demandé à ce que les résultats soient actualisés au plus vite. Et, effectivement, on a appliqué au nouveau total de votants les pourcentages de la veille. »

Selon l’explication de M. Borgel, les organisateurs se sont donc contentés de prendre le nouveau score de votants avec les 352 013 voix supplémentaires, de calculer que cela représentait une progression de 28 %, et donc de donner à chaque candidat 28 % de voix en plus. Ce qui revient à reconnaître que ces chiffres ont bien été manipulés.

Gonflage de chiffres, hasard statistique, ou incompétence ?

Mais cette explication peut-elle suffire ? En réalité, il y a trois possibilités :

  • Première hypothèse : les voix ont été décomptées, et par un miracle statistique de l’ordre d’une chance sur mille, elles se sont réparties presque exactement comme les précédentes en ne modifiant en rien les scores de chacun. Peu probable.
  • Deuxième hypothèse, fermement démentie par M. Borgel : ces voix n’existent pas, c’est un ajout artificiel pour gonfler la participation. Mais pourquoi l’avoir fait entre minuit et 10 heures du matin, alors que l’attention médiatique n’était plus dans les chiffres de participation mais sur le résultat ?
  • Troisième hypothèse : le Parti socialiste (PS) a donc ajouté 352 013 voix entre minuit et 10 heures du matin, c’est établi. Mais ces voix existent-elles réellement ? Si oui, cela signifie qu’à minuit, le PS n’avait à sa disposition qu’un total de voix, sans leur répartition, et qu’il restait donc 352 013 bulletins non dépouillés. Ce qui n’aurait toujours pas été fait, puisque les chiffres n’ont pas varié depuis ce matin.

C’est l’hypothèse qu’invoque M. Borgel auprès du Monde. Il assure que, lundi matin, il a demandé une actualisation du seul chiffre de participation, mais qu’en ajoutant celui-ci, le tableau a automatiquement donné nos fameux 28 % supplémentaires à chaque candidat.

Si on croit la parole de M. Borgel, qui plaide sa « totale transparence », la haute autorité aurait donc communiqué à minuit une répartition provisoire des voix par candidat, puis aurait commis une erreur en « actualisant » le seul chiffre de participation, ce qui aurait automatiquement ajouté des voix (en même proportion) aux candidats. Ce nombre de voix erroné serait ensuite resté en ligne toute la journée sur le site de résultats de la primaire, sans que rien ne soit fait pour – par exemple – mettre la page hors ligne, ou y ajouter un message prévenant que ces chiffres sont faux.

Une réponse insuffisante

Ce qui pose d’autres questions : d’une part, cela signifie que la tableur utilisé par le PS avait une formule pour répartir automatiquement un nombre total de votants par candidat en fonction du score (en pourcentage) de ceux-ci. Mais la logique voudrait l’inverse : que ce score en pourcentage soit le résultat du calcul. Or dans ce qu’explique M. Borgel, les résultats en voix sont fonction des résultats en pourcentages.

Ensuite, dans ce cas, pourquoi ne pas avoir corrigé ces chiffres, en ligne depuis plusieurs heures ? M. Borgel assure qu’il attend désormais « d’avoir le maximum de bureaux validés pour ne pas repartir dans une nouvelle polémique », et refuse de communiquer les chiffres en nombre de voix avant que ceux-ci soient validés – alors que le site des résultats affiche bien des nombres de voix non validés depuis hier soir.

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Surtout, comme l’explique Libération, des corrections ont eu lieu à la marge pour modifier à plusieurs reprises le score de Sylvia Pinel, et ce durant la journée. Il aurait été possible de modifier les scores de cette dernière, mais pas la page ?

Ce n’est qu’à 19 heures, lundi soir, que la haute autorité a communiqué des résultats « validés ». Sur 94,45 % des bureaux de vote (6 808), on compterait ainsi 1 597 720 votants, dont les voix se sont réparties de la manière suivante : 35,86 % pour Benoît Hamon, 31,22 % pour Manuel Valls, 17,3 % pour Arnaud Montebourg, 6,79 % pour Vincent Peillon, 3,82 % pour François de Rugy, 1,98 % pour Sylvia Pinel et 1 % pour Jean-Luc Bennahmias.

Différentiel entre les résultats sur le site et ceux de la haute autorité
Primaire à gauche : Christophe Borgel s’explique sur les cafouillages

Invité au micro de RTL, Christophe Borgel a affirmé qu’il y a eu « plus de 1,6 million de votants », sur « 95 % des bureaux de votes ». Le président du comité organisateur de la primaire l’assure : « Les résultats finaux seront extrêmement proches de ces résultats » et « dès que les opérations sont terminées il y aura un tableau des résultats par bureau de vote, par département ».

Voilà comment il explique la série de couacs constatés depuis dimanche soir :

Sur l’absence de résultats pour 5 % des bureaux de vote : « Les présidents de bureau de vote sont des bénévoles et il y en a quelques-uns qui ne nous ont pas remonté de résultats. » Selon lui, le processus de validation du vote est « ceinture et bretelles », « il n’y a strictement aucune manipulation », a-t-il encore assuré.

Sur l’erreur constatée dans les chiffres publiés ce matin sur le site de la primaire : M. Borgel l’explique finalement par « une erreur humaine » et non plus un « bug » comme il l’avait expliqué dans l’après-midi. « Le permanent [du Parti socialiste] a mis sur la page [de résultats] le nouveau nombre de votants sans chercher à regarder où on en était des résultats [par candidat]. »

Sur la différence entre le nombre de bureaux de vote annoncé et ceux finalement comptabilisés : « Il n’y a pas de bureau de vote fantôme. [Il y a] un peu plus de 200 lieux de vote où, jusqu’au bout, les animateurs pouvaient organiser un, deux ou trois bureaux et ils n’en ont ouvert qu’un seul. » Reste qu’il affirme qu’« il y a eu 7 202 bureaux de vote ouverts », mais selon les chiffres annoncés par la haute autorité de la primaire lundi matin au Monde on en a comptabilisé 7 136.

Sur l’annonce d’une participation « plus proche des 2 millions » annoncée dans un premier temps dimanche soir, M. Borgel a rejeté la faute sur Jean-Christophe Cambadélis, patron du PS, et Thomas Clay, président de la haute autorité, affirmant que lui n’avait jamais évoqué un tel chiffre.

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