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Travailleur indépendant cherche logement décent, désespérément

Sylvain gagne bien sa vie mais n’arrive pas à se loger à Paris : son statut ne rassure pas les propriétaires. Une rencontre de notre série #FrançaisesFrançais.

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Publié le 24 janvier 2017 à 07h18, modifié le 24 janvier 2017 à 20h02

Temps de Lecture 4 min.

Etalonneur dans le cinéma, Sylvain gagne bien sa vie mais n’arrive pas à se loger à Paris.

Vingt-sept ans, trois mille euros net par mois, mais pas de chez-soi. Sylvain est sans domicile fixe, sans être dans le besoin. Loin de là.

Etalonneur numérique dans le cinéma — « c’est tout ce qui est couleur » — professeur et photographe, le jeune actif tatoué à la barbe bien taillée gagne « plutôt très bien » sa vie. N’empêche. Faute de trouver un appartement décent à Paris, il navigue entre les canapés de ses proches depuis plus de six mois.

Ce matin du 10 janvier, comme souvent, il est « entre deux plans ». Hier, Bordeaux chez ses parents. Ce soir, un ami à Paris. Il a donc laissé son sac à dos de rando, celui qui contient l’essentiel de sa vie, à la consigne d’une gare. Malgré l’angoisse de voir le casier braqué, « ça ne le ferait pas, de débarquer avec chez les clients. »

En reprenant un café dans l’un des bars branchés du 11e arrondissement, Sylvain relativise sa galère. Lui est bien entouré. Famille ou amis, il trouve toujours quelqu’un pour lui ouvrir sa porte, même après la nuit tombée. Car pour un rendez-vous de travail qui s’éternise ou un billet de train pas trop cher, le voilà qui débarque parfois tardivement… pour repartir très tôt le lendemain. « Même en laissant un mot gentil et un petit cadeau, on ne se sent pas top top. »

« Je suis riche ! »

« Le premier mois sans payer de loyer, je me suis dit je suis riche ! » Puis la gêne s’est installée. Rapidement. Celle de déranger, de ne plus avoir de vie intime, de devoir réajuster sans cesse son planning professionnel et personnel… Sylvain confie être désormais un peu plus inquiet, lui qui ne pensait pas que ça durerait si longtemps, cette vie sans appartement.

En juin dernier, il quitte un 30 m2 sous les toits de Barbès, dans le nord de Paris, loué 1000 euros par mois. L’objectif : trouver une colocation avec deux amis, pour épargner et pouvoir acheter un jour, qui sait. « Ce n’était pas forcément le meilleur calcul », avoue-t-il, les yeux bleus dans le vague des souvenirs d’une « proprio géniale » et d’un immeuble qu’il adorait. Pendant plusieurs mois, les trois compères ¬ un CDI, un intermittent et Sylvain, indépendant – multiplient les visites jusqu’à ce qu’une agence leur lâche « leur » vérité : leur dossier ne passera jamais, leurs situations professionnelles ne sont pas assez rassurantes pour les propriétaires. Même avec des revenus dépassant largement trois fois le loyer. « Comment font les autres ? Ceux qui n’ont pas de travail ? », s’alarme Sylvain.

Depuis novembre, il cherche donc seul. Et « des apparts, il y en a ». Le jeune homme fait même plusieurs visites par semaine. Seulement, dès qu’un bon plan apparaît sur l’une des sept applications de location et la vingtaine d’alertes qu’il a programmées sur son téléphone, il est loin d’être le seul à postuler. Pour ne plus espérer pour rien, il a choisi d’arrêter les visites où il risque de se retrouver avec une cinquantaine de prétendants, à faire la queue dans l’escalier.

Un 7m2 « revisité »

Il se veut compréhensif envers les propriétaires frileux qui doivent eux-mêmes rembourser leurs prêts, alors il ajoute tout ce qu’il peut pour montrer son sérieux : lettres de recommandation, garants, note qu’il ne fume pas, n’a pas d’animaux, qu’il rénove des maisons l’été et n’appellera donc pas à la moindre fuite… Mais il sait qu’il perdra forcément face à un couple d’ingénieurs. « C’est le jeu. »

Et lui, quels sont ses critères ? « Juste ne pas vivre dans un placard. » Par curiosité, il a tout de même répondu à une annonce pour un 7m2 « revisité par un architecte » aux trésors d’ingéniosité. Une visite « drôle, déprimante »… et illégale, puisque la loi interdit de louer un appartement de moins de 9m2 en France. Sylvain sourit, car cette anecdote est loin d’être la seule à sortir de la légalité.

Il a ainsi déjà dû refuser de payer un loyer en nature et déborde d’histoires d’agences « coincées » par les requêtes des propriétaires, « du genre on ne veut pas d’immigrés”. » Lors de sa dernière visite, un propriétaire a même lancé sur le perron, à une jeune fille voilée :

« Je ne louerai pas à ceux qui ont attaqué mon pays. »

Le ton est monté. Sur une dizaine de visiteurs, la moitié est partie.

« On voyait bien que certains étaient gênés de rester. En même temps, c’est vrai, leurs dossiers avaient plus de chances de passer… »

Ont-ils dénoncé le propriétaire ? Sylvain hausse les épaules. La jeune fille a refusé :

« Vous savez, ce n’est pas normal, mais c’est devenu banal. »

L’impression d’être une goutte d’eau, qu’après tout, « à quoi ça servirait ».

Ce qui le met surtout en rogne, c’est de voir le logement en annexe dans les propositions des candidats à la présidentielle, alors que « c’est une préoccupation au cœur de la société ». Il a beau feuilleter encore et encore les programmes, à gauche comme à droite, il n’a pas encore trouvé « une seule mesure intelligente (…). On se dit qu’ils n’ont jamais cherché un appart’. »

Nous avons rencontré Sylvain à la suite du message qu’il a laissé sur notre appel à témoignages : « Et vous, qu’est-ce qui vous préoccupe ? » N’hésitez pas à faire comme lui, et témoignez ! Retrouvez également nos grands formats à l’écoute des Français.

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