Ah, la vache !
Par Jean-Marc Jancovici (Associé de Carbone 4 et président de The Shift Project)
Si l'année 2016 a été la plus chaude depuis le début des relevés de température (en 1860), ce n'est pas uniquement dû aux transports. Dans le monde, ils engendrent 15 % de nos émissions (6 % pour les voitures, 4 % pour les camions et 2 % pour l'aérien comme le maritime), ce qui est beaucoup, mais pas la majorité. Dans le reste, il y a un très gros morceau qui ne fait pas souvent la une des journaux : manger. Au sens large, c'est plus de 30 % du total ! Les gros contributeurs sont la fabrication puis l'épandage des engrais azotés, le carburant des engins motorisés, les rizières (les détritus organiques y fermentent à l'abri de l'oxygène de l'air, avec des émissions de méthane), et tous les ruminants élevés sur Terre, qui émettent aussi du méthane à cause de la fermentation des végétaux dans leur système digestif (« Les Echos » du 17 janvier 2016). N'oublions pas les déjections des cochons, vaches, ou volailles, qui engendrent aussi des émissions de méthane !
L'agriculture est aussi indirectement responsable de la déforestation (autant que voitures et camions réunis), dont le déterminant principal est la conversion de surfaces boisées en surfaces cultivées. Et plus nous mangeons de viande, plus il faut déboiser : il faut 10 fois plus de surface cultivée pour manger un kilo de boeuf que pour manger un kilo de végétaux.
En France, pas loin de 80 % de la surface agricole sert à nourrir des animaux, et cela n'inclut pas la surface mobilisée - au détriment de l'Amazonie ou de la forêt indonésienne - pour la production du soja ou de l'huile de palme que nous importons.
Manger moins de viande, et partant moins de laitages et de fromage, est donc un point de passage obligé dans la lutte contre le changement climatique. Comment y arriver sans ruiner les éleveurs, qui font un métier plus difficile que l'essentiel des lecteurs de ce journal ? En faisant l'exact inverse de ce que vient de décider l'Europe : il faut remettre des quotas pour diminuer fortement les quantités, multiplier les chartes de qualité et les appellations d'origine, et tripler le prix au kilo en sortie de ferme. Ici comme ailleurs, nous ne résoudrons pas le problème du monde fini avec des outils « libéraux » conçus pour un monde infini qui n'existe plus.
Jean-Marc Jancovici