Terrorisme : comment les services de renseignement ont infiltré une filière djihadiste

Le démantèlement d'une filière terroriste fin 2016 a dévoilé les moyens inattendus utilisés par Daech pour organiser et financer des attentats sur le sol français.

Une enveloppe renfermant plusieurs milliers d’euros  — réclamés par le « cyberpatrouilleur » infiltré —  a été récupérée par les policiers de la DGSI au cimetière du Montparnasse.
 
Une enveloppe renfermant plusieurs milliers d’euros  — réclamés par le « cyberpatrouilleur » infiltré —  a été récupérée par les policiers de la DGSI au cimetière du Montparnasse.   LP/OLIVIER BOITET

    Les investigations sur un commando terroriste qui projetait de s'en prendre, le 1er décembre dernier, notamment au siège de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et au célèbre 36, quai des Orfèvres de la police judiciaire parisienne, ont mené les enquêteurs jusqu'aux allées sombres... du cimetière du Montparnasse. Selon nos informations, au mois de juin 2016, les policiers antiterroristes ont récupéré une importante somme d'argent destinée à l'achat de fusils d'assaut par les terroristes, glissée entre les dalles d'une tombe à l'abandon.

    Pour parvenir à cette planque, ils ont réussi à faire passer l'un d'entre eux pour « un sympathisant de la cause djihadiste » auprès d'un certain Nil Shewil, alias Abou Taha Mohamed, âgé de 30 ans, basé en zone irako-syrienne. Il est identifié dans une vidéo de l'organisation Etat islamique le montrant en train de décapiter deux otages en compagnie d'un autre terroriste français bien connu, Rachid Kassim.

    Un « cyberpatrouilleur » infiltré chez les djihadistes

    Au début du mois de mars 2016, des informations remontent jusqu'à la DGSI : cet homme, originaire de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), préparerait une action violente en France, sous la responsabilité d'un émir de Daech. Se présentant sous le nom de Sayyaf, l'émir insiste auprès du policier infiltré pour trouver « quatre fusils d'assaut kalachnikov et seize chargeurs ». Le « cyberpatrouilleur » infiltré, qui cherche à l'identifier ainsi que les membres du commando, répond qu'il a besoin de 12 000 € pour l'achat des armes de guerre. Mais le 15 mars, au moment de la perquisition d'un appartement à Forest, une municipalité de Bruxelles en Belgique, au cours de laquelle Salah Abdeslam parvient à s'enfuir, le mystérieux commanditaire semble « pris de panique », avant de cesser tout contact.

    Trois mois plus tard, le « cyberpatrouilleur » reçoit un nouveau message, via l'application cryptée Telegram, lui indiquant de se rendre au plus vite dans le XIVe arrondissement à Paris. « Salam Aleykum frero le paquet est dans le cimetière de Montparnasse, précise alors le donneur d'ordre. Prends un petit chemin de terre qui part à gauche du panneau vert 28e division 3e section continue tout droit [...] tu trouveras la tombe au nom de [...] le paquet est entre la pierre tombale et la dalle de la tombe dans une fente ».

    Dès le lendemain, une enveloppe en papier kraft, renfermant 13 300 € en billets de 50 et 100 €, est récupérée par les policiers de la DGSI à l'endroit indiqué. Mais impossible de mettre la main sur le ou les auteurs de cet improbable « dépôt ».

    DGSI, Disneyland... Des cibles potentielles ?

    Un piège est ensuite tendu aux membres du commando. Les policiers enterrent les quatre kalachnikovs neutralisés et leurs munitions dans une parcelle de la forêt de Montmorency (Val-d'Oise), placée sous surveillance sonore et vidéo. En vain. Finalement, le 20 novembre 2016, les terroristes présumés sont identifiés au fil d'une enquête distincte. Dans une clé USB saisie chez Yassine B., domicilié à Strasbourg (Bas-Rhin), soupçonné de vouloir commettre un attentat avec trois autres complices, les coordonnées GPS de la fameuse cache de kalachnikovs à Montmorency ainsi qu'une explication détaillée pour trouver « le matos », sont découvertes.

    Interpellé au même moment, un cinquième suspect, de nationalité marocaine, missionné pour mener une attaque coordonnée à Marseille, avait été filmé, quelques jours plus tôt, passant à proximité de la même planque d'armes.

    Outre les sièges de la DGSI et de la PJ parisienne, les terroristes avaient effectué des recherches via Google Map sur le palais de justice de Paris, le parc Disneyland, le centre commercial la Grande-Porte à Montreuil (Seine-Saint-Denis), un café-théâtre, la médiathèque Marguerite-Dumas dans le XXe arrondissement, la mairie du même arrondissement, la station de métro Charonne ainsi que le jardin du Luxembourg et plusieurs églises parisiennes.