Des flacons de ketamine saisis lors d'une opération anti-drogue.

En France, la kétamine est utilisée pour les anesthésies humaines et vétérinaires, mais est considérée comme une drogue en dehors de ces usages.

AFP/NICOLAS ASFOURI

Et si l'alcoolisme pouvait être traité en "effaçant" la mémoire? Ou du moins certains souvenirs agréables liés à la consommation de breuvages alcoolisés? C'est la piste étudiée par des psychologues de l'University College de Londres. Ils ont lancé des tests cliniques pour déterminer si une injection de kétamine peut conduire une personne à réduire sa consommation d'alcool en "piratant" sa mémoire, révèle le Guardian.

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Évidemment, l'utilisation d'un produit utilisée à l'origine pour les anesthésies humaines et vétérinaires et considéré comme une drogue hallucinogène en dehors de ces usages -en France et dans de nombreux pays-, ne manquera pas de soulever des critiques.

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Raison pour laquelle les chercheurs tiennent à souligner que l'alcoolisme est un fléau qui ne connaît que très peu de thérapies efficaces, et que de nombreuses études montrent que la kétamine peut aider à lutter contre des comportements néfastes, voire guérir des maladies. "Il existe des preuves que la kétamine peut être utilisée comme traitement contre l'alcoolisme", précise Ravi Das, l'un des principaux chercheurs de l'expérience au quotidien britannique.

Perturber la mémoire, altérer les "souvenirs alcooliques"

Pour s'en assurer, les psychologues ont donc décidé de mener des tests sur 90 cobayes humains en tout -50 ont déjà participé. Pour être sélectionnés, ces derniers doivent "boire des quantités excessives d'alcool, mais ne pas présenter de critères cliniques d'alcoolisme", soit:

  • Boire au moins 30 unités d'alcool pour les femmes ou 40 pour les hommes par semaine [ce qui correspond à 4 bouteilles de vin] et boire au moins 4 jours par semaine
  • Vouloir sérieusement réduire leur consommation d'alcool
  • Etre en bonne santé et âge de 18 à 65 ans.
  • Ne pas être enceinte ou allaiter
  • Accepter de recevoir une unique dose de kétamine par intraveineuse ou un placebo

Lors du test, les scientifiques déclenchent intentionnellement un souvenir lié à l'alcool chez les participants en posant une pinte de bière devant eux. Puis ils tentent de perturber la mémoire, en "surprenant le cobaye", indiquent les chercheurs, sans préciser comment, pour ne pas biaiser les résultats.

Ils leur injectent ensuite par intraveineuse un placebo ou une forte de dose de kétamine. Puis ils suivent les "patients placebo ou kétamine" pendant un an pour déterminer si leur consommation d'alcool baisse.

Le cerveau comme un disque dur

Quel rapport entre la pinte de bière, la déconcentration et l'injection de kétamine? L'anesthésiant est connu pour sa capacité à perturber la mémoire. Une propriété que les scientifiques pensent pouvoir utiliser pour "ré-écrire" un souvenir qui conduit à l'addiction.

"Les souvenirs que vous créez peuvent être piratés par certaines drogues, simplifie Ravi Das au Guardian. Si vous êtes alcoolique, vous avez probablement des souvenirs très forts liés à l'envie de boire dans certaines circonstances ou certains lieux".

Tireuse à bière

Une tireuse à bière: potentiel déclencheur

© / Getty Images

"Ces souvenirs se déclenchent sans cesse à cause d'un environnement que vous ne pouvez pas forcément éviter", ajoute-t-il. Voir une pinte de bière, entendre des verres tinter ou même ouvrir la porte de sa maison après une rude journée de travail: autant de "déclencheurs" qui peuvent conduire à se servir un verre "réconfortant".

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"Le problème principal [avec l'alcoolisme] c'est le taux de rechute très élevé après un traitement, ajoute Ravi Das. Des personnes peuvent se sevrer avec succès pendant un temps, par exemple quand elles sont à l'hôpital, puis re-sombrer très rapidement quand elles retournent chez elles et qu'elles sont exposées à ces 'déclencheurs'".

Arachnophobie et alcoolisme, même combat (ou presque)

Mais ce phénomène pourrait être endigué. Car à chaque fois que notre cerveau accède à un souvenir, les connexions neurales qui l'encodent sont brièvement déstabilisées, ce qui explique qu'un souvenir puisse être légèrement modifié avant qu'il ne retourne "en mémoire", et qu'on puisse se souvenir d'un événement de manière différente au cours de la même journée".

Une brève instabilité qui pourrait représenter une opportunité pour les scientifiques. Car l'une des propriétés de la kétamine est de bloquer le récepteur NMDA, nécessaire à la formation des souvenirs. Administrer la drogue juste après que la mémoire soit déstabilisée pourrait affaiblir le souvenir, voire l'effacer, espèrent les chercheurs. Ce qu'il faudra confirmer avec les résultats de leur expérience.

Après tout, une technique similaire - avec du propranolol plutôt que de la kétamine- avait été utilisée en 2015 pour traiter l'arachnophobie en deux minutes, avec succès.

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