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LIBYE

La police libyenne censure des livres "contraires" aux valeurs de l'islam

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Une brigade de la police de la ville d’Al-Marj, dans l’est de la Libye, s’est vantée dans une vidéo publiée le 20 janvier d’avoir saisi une quantité importante de livres, d'abord présentés comme contrevenant au sunnisme. Dans le lot figuraient des livres sur le chiisme mais aussi des ouvrages de Nietzsche ou du romancier brésilien à succès Paulo Coelho. Des Libyens se mobilisent contre ce qu'ils estiment être de la censure.

Le camion transportant ces livres a été intercepté alors qu’il se rendait dans la ville de Benghazi. Sur la vidéo publiée sur la page Facebook de la police d’Al-Marj, on peut voir de dizaines d’ouvrages étalés sur une table. Un responsable de la police explique qu’il s’agit de livres qui font l’éloge du chiisme, de la franc-maçonnerie et de la magie noire. Il passe ensuite la parole à un responsable religieux local qui détaille : "Ce sont des livres qui appellent au christianisme, il y a aussi des livres chiites, de la propagande pornographique sous forme de romans sur Daech [l'organisation État islamique], des livres révolutionnaires étrangers, des exemplaires du Coran dont on ne connaît pas l’origine, des ouvrages sur le judaïsme, de la poésie soufie, des livres des Frères musulmans, des ouvrages qui incitent à l’athéisme… ". C'est une "invasion culturelle très destructrice" conclut-il.

Sur ces images, on distingue notamment la couverture, en arabe, du roman "L’Espionne" de Paolo Coelho. L'auteur de best-seller s’est ému de cette saisie dans un message sur Twitter.

Traduction : "Je suis en train de contacter l’ambassade du Brésil [en Libye]. Ils ne peuvent pas faire grand-chose, mais je ne peux rester assis et regarder brûler mes livres."

Une centaine d’intellectuels libyens ont en outre publié un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux. "Par principe, nous refusons que des livres soient saisis […]. Rien ne justifie cette répression de la pensée. […] Il s’agit là d’une forme de terrorisme intellectuel", écrivent-ils.

Comme notre Observatrice Ahlem al-Badri, blogueuse à Benghazi, de nombreux Libyens ont partagé leur colère en ligne.

Traduction : "Cher milicien, ne te mêle de ce qui ne te regarde pas."

Traduction : "Les cargaisons d’armes peuvent entrer (en Libye), mais les cargaisons de livres sont interdites".

"C’est l’ignorance qui a conduit ces policiers à agir de la sorte"

La police n’a aucune compétence pour exercer un contrôle sur les livres. C’est l’ignorance qui a conduit ces policiers à agir de la sorte. Sur leur vidéo, ils ont qualifié un roman qui porte le titre "Une femme juive" d’incitation au judaïsme. Ce livre est simplement un essai qui raconte l’histoire des juifs en Tunisie. Je ne vois pas en quoi cela peut poser problème. Ils ont aussi présenté un autre intitulé : "Daech mon amour", de propagande pour l’organisation État islamique. Il s’agit en fait d’un roman qui raconte le calvaire d’une femme qui vivait dans un territoire contrôlé l’organisation terroriste. Il ne faut pas juger un livre par sa couverture !

Selon la législation libyenne, le ministère de la Culture et de l’Information est la seule instance compétente pour exercer un contrôle sur les livres.

Les livres qu'on voit dans cette vidéo sont déjà disponibles à Benghazi depuis plusieurs années. On les trouve dans les libraires, les foires, et ils n’ont jamais scandalisé personne. Depuis la chute de Mouammar al-Kaddafi, et malgré l’insécurité, presque aucun livre n’a été censuré en Libye.

Les habitants de Benghazi ont organisé de nombreuses manifestations depuis 2011 pour dénoncer l’extrémisme et le terrorisme. Et nous n’allions pas nous taire devant cette tentative de censure.

C’est la deuxième fois depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, que des ouvrages sont censurés en Libye.

En août 2015, le ministère de la Culture avait fait interdire un ouvrage dans lequel un député indépendant, Abdelfattah Chelui, racontait les coulisses du parlement libyen.

Pour la police, finalement, c'est la facture des livres qui était irrégulière

Contacté par France 24, un porte-parole de la police d’Al-Marj, Ahmed Dawa, a finalement assuré que ces livres n’avaient pas été détruits et qu’ils seraient remis au ministère de la Culture et de l’Information.

"Nous avons saisi ces livres parce que la personne qui les transportait nous a fourni une facture qui présente des irrégularités.

Nous avons fait appel à des responsables religieux uniquement pour vérifier la conformité des exemplaires du Coran qui étaient dans le lot.

Nous avons d’ailleurs transmis une correspondance officielle au ministère de la Culture, afin qu’il dépêche une commission à Al-Marj pour vérifier ces livres. Et c’est à cette commission que reviendra la décision de les mettre sur le marché ou pas."

Cette opération de saisie a été menée par une police rattachée au gouvernement d’Abdallah al-Thani, non reconnu par la communauté internationale.

Depuis les élections législatives de 2014, la Libye est tiraillée entre deux gouvernements rivaux. Celui de la Chambre des représentants issu de ces élections législatives, présidé par al-Thani et qui siège à Tobrouk, dans l’est du pays ; et celui du Congrès général national, dominé par les islamistes, installé à Tripoli.

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