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L’actrice Emmanuelle Riva est morte

Elle s’est éteinte à l’âge de 89 ans, vendredi, des suites d’un cancer. En 2013, elle avait obtenu un César et une nomination aux Oscars pour son rôle dans « Amour ».

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Publié le 28 janvier 2017 à 07h37, modifié le 30 janvier 2017 à 10h56

Temps de Lecture 5 min.

Emmanuelle Riva dans « Hiroshima Mon Amour » (1959).

Ses amis le savaient. Depuis quatre ans, Emmanuelle Riva, grande et magnifique dame de l’écran et de la scène française, luttait en secret contre un cancer qui a fini par avoir raison d’elle, vendredi 27 janvier, dans l’après-midi, à Paris. Agée de 89 ans, l’actrice, selon ses proches, voulait vivre et travailler jusqu’au bout, raison pour laquelle, en plus de la pudeur, elle était restée si discrète au sujet de cette maladie.

Cet été encore, elle tournait un film en Islande et donnait un spectacle à la Villa Médicis, à Rome, continuant d’étudier des projets, qu’elle recevait en quantité. Cette vaillance, cette dignité, on les retrouve dans les deux films qui, aux extrémités de sa carrière, l’ont illuminée et transcendée comme actrice, et qui ont conséquemment bouleversé le public. On parle, évidemment, de Hiroshima mon amour (1959), d’Alain Resnais, et d’Amour (2012), de Michael Haneke, qui lui valut tardivement le César de la meilleure actrice.

Douleur secrète de l’humanité

Pour Hiroshima mon amour, chef-d’œuvre scénarisé par Marguerite Duras, Resnais avait tout simplement remarqué l’actrice, montée à Paris depuis ses Vosges natales, sur une affiche de théâtre. On croit comprendre ce qui, dans ce doux visage, l’a arrêté. Une sorte de douleur secrète qui se nomme l’humanité.

Le film fait partie, avec Nuit et brouillard (1956) et Muriel ou le temps d’un retour (1963), de la part la plus brûlante de l’œuvre du cinéaste, qui contribue avec cette trilogie à l’émergence de la modernité dans l’histoire du cinéma mondial. Dans ces films qui se confrontent à l’ignominie qui baigne le siècle, Resnais cherche l’humanité dans une mise en scène qui précisément atomise la présence humaine, la diffracte, la distancie, la rend étrangère à elle-même.

Emmanuelle Riva incarne, à jamais, le visage de cette humanité-là, une humanité que l’amour semble promettre à la mort. Comme l’avaient figurée, dans un rôle assez proche, Ingrid Bergman dans Stromboli (1950), de Roberto Rossellini, et Renée Falconetti, voici plus longtemps encore, dans La Passion de Jeanne d’Arc (1928), de Carl Theodor Dreyer. Emmanuelle Riva interprète une actrice qui vit une brève et déchirante relation avec un Japonais dans le Hiroshima récemment atomisé et qui est poursuivie par le souvenir humiliant de Nevers, où elle a été tondue pour avoir aimé un soldat allemand. Hiroshima mon amour la rend d’emblée célèbre, mais le rôle est si brûlant qu’il jette comme une ombre sur une carrière riche pourtant d’une cinquantaine de longs-métrages.

Ne méconnaissons pas pour autant la démonstration de son talent dans des films aussi passionnants que Le Huitième jour (1960), de Marcel Hanoun, Léon Morin, prêtre (1961), de Jean-Pierre Melville, Thérèse Desqueyroux (1962) et Thomas l’imposteur (1965), de Georges Franju. Autant de grands rôles qui ne la protégeront pas d’un lent effacement, en dépit de tournages en compagnie de réalisateurs tels que Marco Bellocchio (Les Yeux, la bouche, 1982) ou Philippe Garrel (Liberté, la nuit, 1983). Emmanuelle Riva a, aussi, souvent dit non, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée. Elle n’était pas davantage une actrice qui aimait se vendre qu’une femme qui se laissait circonvenir.

Passion contrariée pour le théâtre

Il lui revint in fine de jouer à cinquante ans de distance dans deux films qui firent à leur époque et public respectifs l’effet d’un coup de poing. Pour Amour, Michael Haneke, Autrichien francophile maniant la caméra comme un rasoir, l’engage ainsi pour jouer le rôle d’Anne, une professeure de musique octogénaire victime de deux accidents vasculaires cérébraux consécutifs, et dont l’inexorable dégradation va inciter son mari (Jean-Louis Trintignant) à abréger, par amour, ses souffrances.

Emmanuelle Riva, à la 85e cérémonie des Oscars à Hollywood, le 24 février 2013.

Film terrible, d’une lucidité atroce et d’une humanité terrassante, qui ne peut que laisser pantelant, et qui va de fait rencontrer un succès critique et public tout à fait inattendu, à commencer par la Palme d’or au Festival de Cannes. Il ne fait guère de doute que Haneke conserve à l’esprit Hiroshima mon amour quand il songe à Emmanuelle Riva. L’entrelacement de la vie et de la mort, l’amour comme engagement tragique, la dignité bafouée, l’humanité qui se cherche, autant de motifs qui se retrouvent dans l’un et l’autre des films.

Souvenons-nous d’une des plus célèbres paroles de la jeune femme dans le premier – « Tu me tues, tu me fais du bien » – pour constater que le second, au soir de la vie de l’actrice, en tire toutes les conséquences. Il en fallait, décidément, du courage et du talent pour donner dans cette fugue mortelle, de première grandeur mais de peu d’espoir, tout ce que Riva et Trintignant parvinrent à donner d’eux-mêmes.

Née le 27 avril 1927 à Cheniménil (Vosges), elle a grandi à Remiremont au sein d’une famille prolétaire d’origine italienne. Emmanuelle Riva se prénommait en vérité Paulette et se destinait à devenir couturière. Une passion précoce et contrariée pour le théâtre la détourna de ce destin. C’est sur la scène pourtant, à Paris, qu’elle inaugura sa carrière en 1954, après avoir intégré l’école de la rue Blanche. Elle y joua continûment, dans plus d’une trentaine de pièces et sur un registre élevé, variant entre répertoires classique (Euripide, Molière, Shakespeare) et contemporain (Harold Pinter, Luigi Pirandello, Nathalie Sarraute). L’une de ses dernières prestations eut lieu en 2014, au Théâtre de l’Atelier, à Paris, sous la direction de Didier Bezace : elle interpréta Savannah Bay, de Marguerite Duras, qu’elle retrouvait à cinquante ans de distance de Hiroshima mon amour. Mais c’est bien le cinéma, médium populaire et miraculeux, qui fit de cette jeune fille modeste, et sans doute pas aussi sage qu’elle en avait l’air, de cette actrice à la beauté douloureuse, un mythe. Sur son visage, une partition inquiète et déchirante du septième art, telle que le XXe siècle l’a dictée, s’est d’emblée écrite.

Mais comment ne pas se rappeler aussi, sur la scène des Césars, la tonicité, la vitalité, l’insolence de cette femme de 80 printemps coiffée en punkette, qui vint, si pimpante, chercher sa statuette ? On verra d’ailleurs très bientôt Emmanuelle Riva dans Paris pieds nus, de Dominique Abel et Fiona Gordon, qui succédera à Marie et les naufragés, de Sébastien Betbeder. Comme un miracle renouvelé du cinéma et de la folle espérance que cette femme mettait dans la vie.

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