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« Finissons-en avec la République des conjoints ! »

En pleine affaire Penelope Fillon, le juriste Matthieu Caron propose d’interdire les contrats familiaux, comme l’a fait le Parlement européen.

Publié le 29 janvier 2017 à 07h43, modifié le 30 janvier 2017 à 10h09 Temps de Lecture 5 min.

En pleine affaire Penelope Fillon, le juriste Matthieu Caron propose d’interdire les contrats familiaux, comme l’a fait le Parlement européen.

César peut-il embaucher sa femme ? En France, qu’il soit chef de l’Etat, ministre ou parlementaire, il en a pleinement le droit pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un emploi fictif. Mais en vérité, cette question concerne davantage la morale républicaine que le droit : pour demeurer insoupçonnable, le représentant politique n’a-t-il pas intérêt à établir une frontière infrangible entre sa vie publique et sa vie privée ?

Beaucoup ne l’ont pas encore compris : la République n’appartient pas à la famille de César, pas plus qu’à César lui-même. L’on peut concevoir que l’homme politique préfère s’entourer de sa famille car la chose publique est un sacerdoce – mais après tout, nous n’employons pas tous notre conjoint, et le meilleur moyen de le voir davantage ne consisterait-t-il pas pour César à moins cumuler les mandats ?

L’on peut soutenir aussi que le fait d’employer son conjoint comme collaborateur est un péché véniel que la République devrait pouvoir pardonner à ses serviteurs. L’on peut même tout à fait se représenter le don d’eux-mêmes que certains entourages ont dû faire à la République. Seulement voilà : en ce début de XXIe siècle, le peuple souverain exige la transparence de la vie publique.

Incapables de s’autodiscipliner

N’en déplaise à César, la République exemplaire ne peut plus supporter les légèretés et les indécences coupables de certains gouvernants. Parce que César ne veut pas l’entendre et parce qu’il ne sait pas s’autodiscipliner – en se disant que la République est une idée bien plus grande que lui –, il va malheureusement falloir que le droit public finisse par imposer un statut des entourages familiaux au président de la République, aux membres du gouvernement ainsi qu’aux parlementaires.

S’agissant du président de la République, il y a beau temps qu’un tel statut aurait dû voir le jour tant les ambiguïtés et les abus furent légion : affaire des décorations du gendre du président Jules Grévy (1887) ; emploi de son fils par Vincent Auriol au poste de secrétaire général adjoint de l’Elysée (1947-1954) ; logement clandestin de Mazarine et d’Anne Pingeot aux frais du contribuable sous la présidence Mitterrand ; embauche de Jean-Christophe Mitterrand et de Claude Chirac par leur père respectif ; carte bleue « professionnelle » de Cécilia Sarkozy à l’Elysée…

D’une part, il serait indiqué d’interdire au chef de l’Etat de recruter des membres de sa famille et de préciser que le budget de l’Elysée ne prend en charge aucuns frais d’hébergement, de restauration, de représentation et de déplacement les concernant. D’autre part, une clarification du statut du conjoint du chef de l’Etat est essentielle.

Doit-il bénéficier d’un bureau à l’Elysée et de collaborateurs ? Dans quelle mesure doit-on financer son train de vie ? Doit-il être assujetti à un devoir de réserve – quid des révélations de Valérie Trierweiler en 2014 ? Que prévoir en cas de concubinage présidentiel ? Ne devrait-il pas déposer une déclaration d’intérêts et de patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ? Ne faut-il pas un statut des anciens conjoints de chef de l’Etat comme il en existe un désormais pour les anciens présidents (décret du 4 octobre 2016) ? Voilà qui donne matière à réflexion aux spécialistes du droit constitutionnel qui devront commencer par préciser ce que recouvre la notion d’entourages.

Conflits d’intérêts

En ce qui concerne les membres du gouvernement, un statut des entourages familiaux est également requis. Faut-il par exemple rappeler que Cécilia Sarkozy fut conseillère de son mari à Bercy, tandis que l’une de ses filles fut installée dans un des logements normalement réservés à un ministre de la République ?

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Se souvient-on par exemple des conflits d’intérêts auxquels s’est exposé Eric Woerth en étant à la fois ministre du budget et trésorier de l’UMP, sachant que sa conjointe conseillait fiscalement Liliane Bettencourt, elle-même donatrice de l’UMP ?

Avec les lois du 11 octobre 2013, les conflits d’intérêts potentiels sont désormais plus faciles à identifier en amont puisque les membres du gouvernement doivent révéler les activités de leur conjoint. Cela étant, ces progrès législatifs ne doivent pas conduire à faire l’économie d’un statut des entourages familiaux des ministres. Peu ou prou, les mêmes questions se posent que pour le chef de l’Etat et la sagesse voudrait ainsi que les membres de la famille du ministre ne puissent pas être recrutés à titre onéreux au sein de son cabinet.

Enfin, que doit-il en être au Parlement ? Depuis la création de la fonction de collaborateur parlementaire par Edgar Faure en 1975, une proportion non négligeable de parlementaires a pris la fâcheuse habitude de recruter son conjoint ou ses enfants – plus de 20 % en 2017 –, voire de recourir à la pratique feutrée des emplois croisés (« j’embauche ton fils, tu embauches ma femme »).

Imiter le Parlement européen

Aujourd’hui, un député peut légalement recruter des collaborateurs familiaux dans la limite de 50 % de son enveloppe de crédit collaborateur de 9 600 euros – soit un salaire mensuel de 4 800 euros net – tandis qu’un sénateur ne peut employer qu’un tiers de son enveloppe de 7 500 euros – soit 2 500 euros net mensuel.

Malgré les difficultés en termes de droit constitutionnel et de droit du travail que cela susciterait, l’on peut se demander si la France n’aurait pas intérêt à imiter le Parlement européen, qui a interdit les contrats familiaux en 2009.

En 2014, le Groupe d’Etats contre la corruption (Greco), qui est l’organe anticorruption du Conseil de l’Europe, avait invité la France à réformer son système des collaborateurs parlementaires nationaux, susceptible de causer des problèmes de conflits d’intérêts et d’emplois fictifs. Et ce 25 janvier a éclaté l’affaire Penelope Fillon, désormais entre les mains du Parquet national financier.

C’est la monarchie qui est une affaire de famille, pas la République. Ceux qui voudraient ne voir dans cette tribune qu’un simple antiparlementarisme ou l’expression d’un puritanisme politique, n’ont pas idée de la crise qui vient. Ce sont le soupçon, le népotisme et l’oligarchie qui finissent par livrer la République au crépuscule.

Matthieu Caron est maître de conférences en droit public à l’université de Valenciennes (Nord). Il a participé à l’ouvrage collectif « Le Règne des entourages » (Presses de Sciences Po, 2015).

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