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Expert – Politique chinoise

Chine : Chen Min’er, l’impossible successeur de Xi Jinping

Chen Min'er, chef du parti de la province chinoise du Guizhou lors de la 3ème de la 12ème session de l'Assemblée national populaire provinciale, à Guiyang le 26 janvier 2015. (Crédits : Zhui ying / Imaginechina / via AFP)
Chen Min'er, chef du parti de la province chinoise du Guizhou lors de la 3ème de la 12ème session de l'Assemblée national populaire provinciale, à Guiyang le 26 janvier 2015. (Crédits : Zhui ying / Imaginechina / via AFP)
Dès le mois d’août 2015, Chen Min’er [陈敏尔] est annoncé comme le « prochain leader » de la République populaire de Chine (RPC) par Bo Zhiyue, éminent spécialiste de la politique chinoise. Mais l’actuel chef du parti dans la province du Guizhou est déjà trop vieux pour devenir le successeur effectif de Xi Jinping en 2022 – au terme officiel des deux mandats prévus par la Constitution – puisqu’il aura alors 62 ans. Mais il est permis de penser que Chen, allié de l’entre-deux (2022-2027), jouera plutôt un rôle d’appui institutionnel pour Xi, sans pour autant prendre les commandes de la RPC.

Itinéraire d’un cadre

*Huang [né en 1954], ancien secrétaire de Chai Songyue [柴松岳], est un allié de longue date de Zhang Dejiang et de Zhang Gaoli [张高丽] – tous deux associés de l’ancien président chinois Jiang Zemin. Huang a été mis en examen en septembre 2016. Certains membres du Politburo le tiendraient pour responsable de la mauvaise gestion du port de Tianjin lors de la double explosion de 2015, alors qu’il était le gouverneur. **Fait notable, Chen aura au Guizhou un secrétaire nommé Liu Qifan [刘奇凡], né en 1967 et ex-secrétaire de Li Zhanshu [栗战书], allié de Xi et membre du Politburo, durant son passage au Guizhou (2008-2012). Liu sera ensuite envoyé en 2016 à la tête du parti provincial de Mongolie intérieure afin de « nettoyer » l’ancien fief de l’actuel membre du Politburo Liu Yunshan [刘云山], allié de Jiang Zemin et Hu Jintao.
Né en 1960 dans le Zhejiang, la désormais base arrière de « l’armée de fer de Xi » [浙江铁军], Chen a cheminé de 1978 à 2012 dans ladite province, passant du comté de Shaoxing [绍兴] au poste de gouverneur provincial en 1991 puis de secrétaire du Parti du Zhejiang en 1994. Trois ans après, en 1997, il devient maire-adjoint de Ningbo, aux côtés de Huang Xingguo [黄兴国]*, et devient alors à 37 ans l’un des plus jeunes cadres de la région à atteindre le rang préfectoral, souvent appelé simplement « zhengting » [正厅级]. Dès 2002, il intègre le comité permanent du gouvernement provincial du Zhejiang, dont il devient cinq ans plus tard le gouverneur-adjoint. Cela dit, Chen n’ira pas plus loin dans cette province : il suit un autre des alliés de Xi Jinping dans la province du Guizhou, Zhao Kezhi [赵克志], au poste de secrétaire-adjoint. En 2013, le même Chen est choisi comme remplaçant de Zhao au poste de gouverneur, faisant de lui un cadre de rang provincial à 53 ans seulement. Il viendra d’ailleurs remplacer Zhao une fois de plus en 2015 pour devenir secrétaire de rang provincial**.
*On va même jusqu’à soupçonner que Hu Chunhua sera placé à Shanghai et que Xiao Baolong reviendra prendre poste à Pékin, remplaçant ainsi Zhao Kezhi (né en 1953), aussi allié de Xi et collaborateur de Li Zhanshu au Guizhou (2010-2012). En ordre, Zhao succède à Li et Chen succède à Zhao au poste de chef du Parti.
Pour l’heure, étant donné que Chen est secrétaire du parti du Guizhou depuis 2015, il est fort possible qu’il « retourne » vers l’Est avant le 19e Congrès du PCC qui aura lieu en novembre prochain. En ce sens, des rumeurs veulent que Chen vienne remplacer Hu Chunhua [胡春华], grande figure « tuanpai », du nom d’une « faction » importante de cadres du Parti, formés bien souvent dans les villes situées à l’intérieur des terres, passés par la Ligue de la Jeunesse communiste et dont l’ancien président chinois Hu jintao est le patron. Chen serait ainsi pressenti comme l’un des « membres noyaux » de la prochaine équipe dirigeante, au titre de chef du Parti au Guangdong. Aux dires de certains, cette nouvelle devrait être annoncée sous peu*.
Que cette rumeur soit fondée ou non ne change rien à la logique du parcours de Chen. Avec l’aide de Xi et de ses associés, il a pu monter rapidement dans l’Est, consolider son statut dans l’Ouest pour ensuite revenir vers les provinces côtières de l’Est afin de se rapprocher de Pékin. Ce mouvement est aussi connu sous le nom de « mobilité sponsorisée ».

Chen Min’er, pièce maîtresse de « l’armée de Xi »

Durant sa longue carrière dans le Zhejiang, Chen a su tisser des liens avec bon nombre des alliés de Xi Jinping, lui-même ayant été gouverneur (2002-2003) et chef du Parti du Zhejiang (2002-2007). D’emblée, Chen doit beaucoup à son bienfaiteur, Si Xinliang [斯鑫良] (né en 1950). Ce dernier, en poste depuis 2001 au comité provincial de la propagande et à la tête du département de l’organisation (2001-2010), a vu défiler Zhang Dejiang [张德江] (1998-2002), Xi Jinping et Zhao Hongzhu [赵洪祝] (2007-2012) à la tête de la province. Il avait ainsi su assurer la progression de Chen dans le Zhejiang jusqu’avant son départ pour le Guizhou.
Les rumeurs voulaient aussi que Chen et Si Xinliang étaient si proches que le fils de ce dernier, Si Li [斯力] devait épouser la fille de Chen. Si Xinliang tomba aux mains de la commission de l’inspection de la discipline en 2015, au même titre que son fils. Ce dernier a depuis « disparu » sans pour autant avoir été condamné à une peine de prison.
Par la suite, Chen Min’er travaille en étroite collaboration avec Li Qiang [李强] (né en 1959) entre 2005 et 2012. Celui-ci fut alors le secrétaire de Xi Jinping (2002-2007) et ensuite celui de Xia Baolong [夏宝龙] (2011-2012). Xia (né en 1952) est également un allié de Xi Jinping depuis leur expérience commune au Zhejiang (2003-2007). Quoique maintenant près de la retraite depuis novembre 2016, Wang Huizhong [王辉忠] a travaillé avec Chen entre 2003 et 2012 au comité permanent du Zhejiang et est également un allié de Xi Jinping. Cela dit, n’ayant pas réussi à attendre le rang provincial avant ses 60 ans (2016), l’âge aura raison de Wang qui terminera sa carrière à la vice-direction du Congrès populaire du Zhejiang.
*Qiang a depuis été écarté vers la vice-direction du comité des Affaires internes et judiciaires du Congrès national (juin 2016).
Lorsqu’il était encore au comité permanent du Zhejiang et gouverneur-adjoint, Chen a côtoyé Liu Qi [刘奇] (né en 1957), qui alternait alors entre la direction de la la Commission provinciale pour le développement et la réforme (fagaiwei – 发改委) (2006-2008), la vice-direction du congrès populaire (2008-2011) et la direction du Parti de la ville de Ningbo (2011-2013). Allié de Xi, Liu est depuis posté au Jiangxi aux côtés de Lu Xinshe [鹿心社] (né en 1956) afin de « nettoyer » la province de l’influence de Qiang Wei [强卫]* et de son chef, Zeng Qinghong.
*Wang (né en 1957) avait été placé par Zeng Qinghong et Zhou Yongkang, tous deux alliés de Jiang Zeming. Wang siège depuis au centre de recherche sur le développement du Conseil d’État.
Enfin, Chen a aussi été en contact avec le remplaçant (octobre 2016) de Wang Anshun [王安顺]* à la tête de Pékin, soit Cai Qi [蔡奇]. Cai (né en 1955), qui arrivait alors de la commission centrale de la sécurité nationale, a connu Xi Jinping au Fujian dans les années 1980 et l’a suivi dans le Zhejiang au début des années 2000.
*À l’origine, on fait référence à la bande du Zhejiang comme étant liée à Zhang Dejiang [张德江] – secrétaire du parti provincial de 1998 à 2002 et membre du Politburo (2002-2017), allié de Jiang Zemin. À l’époque, une grande partie de la bande de Shanghai de Jiang provenait de la structure du Parti et du gouvernement de cette province. En ce sens, la « nouvelle clique » fait référence à la transition des hommes de Jiang aux hommes de Xi sur cette même structure.
On le voit bien, Chen Min’er est ici l’une des pièces maîtresses dans la nouvelle « armée de Xi » [习家军] dû fait qu’il connaisse plus de sept de ses plus fidèles alliés en plus d’avoir travaillé avec Xi pendant plusieurs années. Ce denier, qui sera appelé à revenir vers la côte Est, permettra en outre la continuité de ce que certains nomment la « nouvelle clique du Zhejiang » après 2022*.

Courir à petits pas : l’âge comme processus de gestion des élites

Chen, entré dans le Parti en 1982 (22 ans), a mis 15 ans avant d’atteindre le rang préfectoral, cinq ans de plus pour devenir cadre de rang provincial et environ 11 ans pour accéder à la dernière marche le séparant des postes nationaux. Chen suit une progression très rapide, le plaçant dans la moyennes d’âge de l’ensemble des responsables ayant atteint le Politburo depuis 1992.
Âge d'accession des nouveaux membres du Politburo (1992-2012) aux différents échelons de l'administration du Parti
Âge d'accession des nouveaux membres du Politburo (1992-2012) aux différents échelons de l'administration du Parti
Ce faisant, le « problème » de Chen n’est pas le manque de temps ou encore une progression trop lente, mais bien simplement l’âge de naissance et la « règle » du double mandat. En ce sens, si Chen n’entre pas au Politburo en 2017, sa dernière chance sera en 2022. Même s’il semble tout indiqué pour être un bon successeur – par exemple du fait des types de postes occupés, de la vitesse de promotion, etc -, il ne pourra au mieux que devenir membre du Politburo en 2017 et ensuite changwei [常委] (membre du comité permanent) en 2022. En ce sens, les quelques années qui séparent Xi de Chen à l’arrivée au Comité central, sauront faire la différence entre un « successeur » [接班人] et un « simple dirigeant » membre du bandi [班底] (cercle proche) de Xi.
Xi n’est pas le premier leader à vouloir planifier et contrôler sa succession
*À l’origine, Hu Jintao n’avait pas de successeur. Le choix de Xi est le résultat d’un compromis passé. En effet, après les échecs de Hu Yaobang et Zhao Ziyang, les patriarches du Parti, Chen Yun en tête, ont forcé le compromis avec les réformateurs pour choisir Jiang Zemin, appuyé par la nouvelle quatrième armée, notamment Zeng Shan, le père de Zeng Qinhong. En échange, Jiang devait permettre le « retour » des enfants du Parti dans les hauts postes de direction, empêché par Deng, surtout depuis 1989. **Li progressa beaucoup plus vite que Xi jusqu’au SRAS. Xi rattrapera alors Li qui dû être relégué au poste de Premier ministre. Hu Jintao se résigna alors à préparer la succession de la succession avec Hu Chunhua [胡春华] et Sun Zhengcai [孙政才], disciple de Wen Jiabao – homme de Zhu Rongji.
On se souviendra des « échecs » de Mao Zedong à contrôler sa succession avec Lin Biao et Hua Guofeng, de Deng Xiaoping avec Zhao Ziyang et Hu Yaobang, de Jiang Zemin* et de Hu Jintao* (avec Li Keqiang). Xi Jinping ne fera peut-être pas exception et devra s’en accommoder même s’il n’aime pas ceux qui ont été « choisis » pour lui succéder. En ce sens, il a déjà commencé à « pousser » certains cadres de la 7e génération vers le Centre. Shi Guanghui [时光辉] (né en 1970), figure montante de Shanghai, en est un bon exemple. A ce titre et pour essayer de résumer, on pourra se référer au graphique ci-dessous qui représente le réseau dans lequel s’insère Chen Min’er. Le premier cercle (rouge) représente ainsi les individus de la génération de Xi (5 et 5.5) ainsi que le degré de proximité avec ce dernier. Le jaune représente les individus de second degré. Liu Qifan, en tant que secrétaire de Chen et membre de la génération 6.5 (né en 1967), est considéré ici comme membre au « tiers » degré de la bande du Zhejiang. De l’autre côté, on voit que Chen, à l’origine, a reçu du soutien de la part des collaborateurs de Jiang Zemin.
Infographie représentant le réseau de Chen Min'er
Infographie représentant le réseau de Chen Min'er

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.