Ma semaine avec un Nokia 3310

Ma semaine avec un Nokia 3310
Un Nokia 3310 (THOMAS KOHLER/FLICKR/CC)

Pour mesurer l’impact du smartphone sur notre quotidien et pour évaluer mon addiction, j’ai passé une semaine avec un téléphone tout droit sorti des années 2000.

Par Anne-Sophie Faivre Le Cadre
· Publié le · Mis à jour le
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Alors que Nokia annonce le retour du modèle 3310, nous republions l'expérience de notre journaliste avec sa relique dénichée dans une petite échoppe de Barbès, à Paris. 

Jour 1 - Chronique d’un échec annoncé

Au premier jour de ma mission retour vers-les-années-2000, j’angoisse. Il y a dix ans, j’avais un Nokia 3310 - ainsi que des boutons d’acné, un appareil dentaire et les cheveux violets. L’engin avait survécu à un passage en machine et à une chute du deuxième étage, avant de se perdre dans les méandres de ma chambre d’ado.

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Quelques années plus tard, il a avantageusement été remplacé par un iPhone 3, puis 4, puis 5, puis 6 avec lequel j’entretiens une relation jalouse et fusionnelle.

Je pars à la recherche de ma relique de l’an 2000 dans les petites échoppes de téléphonie de Barbès. Après trois refus et autant de regards suspicieux, je finis par trouver mon bonheur.

« J’en vends à peu près deux par mois : les gens qui achètent des 3310 aujourd’hui, c’est plutôt des hipsters - le genre barbu, mais pas terroriste », s’amuse le vendeur en me souhaitant du courage.

J’en aurai besoin.

Score au snake : 40

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Jour 2 - A la recherche du temps perdu

Nommer les choses, c’est les faire exister : aussi, je baptiserai mon compagnon d’infortune Brenda. L’objet, bleuâtre et lourd comme une brique, est certainement plus vieux qu’EnjoyPhoenix.

Impossible de le faire tenir dans une poche, je suis obligée dans le planquer dans mon sac et d’aggraver ma scoliose. Au boulot, chacun y va de sa petite plaisanterie - avant de vider ma batterie à grands renforts de parties de snake. La journée passe lentement.

Chaque texto nécessite cinq bonnes minutes de lutte avec un clavier capricieux. Quand vient le soir, une première déconvenue : je n’ai plus de CD dans mon appartement depuis 2010 et n’écoute de la musique que via iPhone et bluetooth. Heureusement, en bonne petite bobo parisienne, je peux toujours compter sur la platine vinyle trônant dans un recoin obscur de mon studio. Récent déménagement oblige, je n’ai que deux disques : le "White Album" des Beatles et un Simon and Garfunkel.

Je les écoute en boucle. Mes voisins menacent de me tuer.

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Score au snake : 120

Jour 3 - La Chute

L’heure du week-end a sonné. En emménageant dans mon appartement, j’avais décidé de ne pas installer internet, pour « lire plus de livres » et « cesser d’être esclave d’internet ». La chose est possible avec un peu de 4G pour maintenir un semblant de vie sociale et glander sur Facebook pendant quelques (heures) minutes. Elle s’avère beaucoup plus complexe sans.

Entre deux chansons de Simon and Garfunkel, je profite de mon sevrage numérique pour vaincre ma phobie administrative à grand renfort de paperasse. Très vite, l’absence d’internet se fait cruellement sentir : naturellement, je ne puis chercher sur internet les adresses des organismes auxquels je dois envoyer des papiers.

« T’as pas l’adresse de la commission de la carte de presse ? » supplie-je un ami par texto, moyennant dix minutes de lutte avec le clavier. Plus tard, je rejoins des amis dans l’un de ces bars à brunch où on laisse un demi-rein en échange de trois tartines.

Je n’arrive pas à résister à la tentation de sortir mon iphone pour profiter d’un peu de wifi. La vision de mes vingt notifications Facebook me fait osciller entre plaisir et culpabilité. La vérité m’éclate en pleine figure : je ne suis qu’une misérable droguée.

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Score au snake : 400 

Jour 4 - Métro, tricot, dodo

Pas d’iphone, pas de musique - impossible, donc, de se couper du monde par la grâce d’écouteurs me ruinant l’audition. « T’as un gros cul ! » hurle un mec à capuche de bon matin. Sur cette vérité pas très bonne à dire - mais surtout à entendre, je m’engouffre dans le métro.

Jamais je ne m’y suis sentie plus en sécurité : personne n’a dû voler un 3310 depuis la fin du millénaire dernier, et Brenda le Nokia pourra toujours servir d’arme de poing en cas de main au cul / enfant me marchant sur les pieds / mec jouant la lambada au violon.

Pour ne pas m’emmerder pendant dix stations, j’ai décidé de mettre à profit les leçons de tricot qu’Alfrédette, ma grand-mère, m’avait prodiguées il y a quinze ans. Armée de deux aiguilles, d’une pelote et de ce qui sera dans quelques semaines un futur pull moche, j’ai l’impression d’être un genre de Laura Ingalls ferroviaire.

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Score au snake : 1200

Jour 5 - Cent ans de solitude

Un trajet dans le métro. Sur le siège d’en face, un sosie presque parfait de Marlon Brando - période "Un Tramway Nommé Désir". Toute représentante de la génération Y que je suis, je n’ai que peu flirté dans la vraie vie. Sans Tinder, Happn et consorts, je me sens donc plus démunie qu’une Christine Boutin au Kit et Kat.

Prenant mon courage à deux mains, je lui adresse un sourire à faire pâlir les putains de la rade : le bougre me regarde comme si je venais de lui annoncer que j’avais la chlamydia et que je la lui refilerais bien pour la Saint-Valentin, avant de changer de place.

Le soir venu, je rentre chez moi, et lis quelques heures. Etre totalement coupée du monde est une source d’angoisse profonde - n’ayant ni télé, ni poste de radio, je n’ai aucun moyen de savoir ce qu’il se passe dans le vaste monde.

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », disait Pascal - qui n’aurait peut-être pas pu écrire ses "Pensées" s’il avait passé sa vie à glander sur Buzzfeed.

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Score au snake : 2300

Jour 6 - Le Pari

Au cours d’un apéro - où je n’ai pas gougeatement consulté mon téléphone alors que mon interlocuteur me parlait - un grand pari philosophique : qui de Paul McCartney ou Ringo Starr a composé "Octopus’s Garden" ? Impossible de vérifier discrètement sur mon regretté iPhone. Et en plus, j’ai perdu dix balles.

(Overdose de snake. J'ai préféré tricoter)

Jour 7 - Libérée, délivrée

Dans le métro, je manque d’éborgner mon innocent voisin de strapontin avec une aiguille. N’ayant pas enregistré mes numéros, je gratifie un contact professionnel très important d’un tonitruant « salut, ça farte » - pensant qu’il s’agissait d’un vieux copain. J’arrive en retard à une réunion, n’ayant pas vu, sur le groupe Facebook dédié, que l’heure en était changée.

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Enfin, il est temps de retrouver mon cher et tendre iPhone. En l’allumant, j’ai l’impression de retrouver un ami d’enfance perdu de vue depuis quinze ans.

J’aimerais vraiment être l’une de ces filles qui prônent la digital detox avec des anglicismes plein la bouche en jurant que cette semaine de 3310 était une expérience arachnéenne et totalement life-changing — ce que j’aurais certainement fait si j’étais l’une de ces instagrameuses blondes et perpétuellement bronzées qui, entre deux séances de Sh’bam ou de lotus flow, s’en vont siroter des smoothies au chou kale avant de faire du yoga sur une plage de sable trop fin.

En vérité, cette semaine était plus proche du septième cercle de l’enfer que de la retraite spirituelle dans un ashram indien. 

Anne-Sophie Faivre Le Cadre
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