Le Front national et ses mauvaises fréquentations numériques

Marine Le Pen à PAris le 26 janvier 2017 ©AFP - CITIZENSIDE / Yann korbi / Citizenside
Marine Le Pen à PAris le 26 janvier 2017 ©AFP - CITIZENSIDE / Yann korbi / Citizenside
Marine Le Pen à PAris le 26 janvier 2017 ©AFP - CITIZENSIDE / Yann korbi / Citizenside
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Deux faits récents nous éclairent sur les méthodes associées au Front national dans les réseaux.

Dans une autre vie, j’avais un professeur qui était un spécialiste du philosophe Alain (c’était le temps où on avait encore des professeurs spécialistes d’Alain). Souvent ce professeur se prenait la tête dans les mains et disait “Il n’y a pas de rapport, il n’y a pas de rapport : c’est la devise des imbéciles”. Je repense souvent à lui - à cette injonction au rapprochement - et l’ai fait récemment à nouveau ces derniers jours au sujet du Front National, et de deux faits de nature apparemment très différentes.

Le premier fait se rapporte aux vidéos de la chaîne Youtube lancée il y a quelques semaines par Florian Philippot. Dans ces deux vidéos, reprenant les codes désormais établis des Youtubeurs, Florian Philippot y parle sur un ton familier et détendu de l’île de Tromelin ou de l’Euro. Mais ce faisant - et par quelques signaux tout de suite détectés par les connaisseurs - Florian Philippot adresse quelques clins d’oeil à une communauté très particulière du web français : celle du forum 18-25 ans de Jeuxvideo.com. Ce forum, rassemblant au départ des gamers, est devenu au fil du temps un espace de discussion de jeunes internautes qui y parlent de tout, qui rigolent, se bâchent, y font fuiter les sujets du bac, y inventent leur propre langue, mais aussi lancent des campagnes douteuses, disent leur haine des féministes et adore les provocations extrémistes. Bref, un lieu à la fois inventif et dégueulasse comme le web a su en créer. Jean-Luc Mélenchon, dans une de ses vidéos, avait remercié les internautes de Jeuvideos.com pour le relai qu’il faisaient à ses vidéos. Florian Philippot, lui, ajoute plus subtilement les signes discrets de reconnaissance à cette communauté. Une communauté de jeunes électeurs à séduire, une communaunté importante à l’échelle du web français, une communauté d’actvistes des réseaux qu’il faut mieux avoir avec soi tellement elle peut être dure et nocive quand on l’a contre soi. Voilà pour le premier fait.

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Le second fait était rapporté ce week-end par le site Buzzfeed qui a montré que des militants pro-Trump avaient mis à disposition de leurs soutiens des sortes de kits militants numériques pour aider à la candidature de Marine Le Pen à la présidentielle française : fabrication de faux comptes dans les réseaux sociaux, mèmes prêts à l’emploi (les mèmes sont des images ou de petites vidéos qui vont devenir virales), méthodes pour investir les commentaires des contenus que l’on veut promouvoir (et en particulier les vidéos de Florian Philippot, justement). Intéressant de voir une tentative d’exportation en France, et en soutien à la candidature de Marine Le Pen, des méthodes de propagandes numériques qui ont bien fonctionné avec Trump aux Etats-Unis. Méthodes limites, méthodes qui ne consistent pas à convaincre ou à argumenter mais à occuper le terrain, à pourrir la conversation politique quand il faut, à transformer les réseaux en territoire d’une guérilla numérique.

C’est quoi le rapport ? C’est quoi le rapport entre deux faits qui peuvent paraître assez anecdotiques au regard des grandes questions du monde ? Le rapport, c’est une question de méthode, et la méthode, en politique, ça n’est pas rien. C’est une manière de solliciter - ou de susciter - le soutien de groupes qui ne discutent pas, mais qui tapent. Qui tapent avec les moyens que donnent les réseaux pour taper, des moyens qui font moins mal que les coups, mais dont on peut pas dire non plus qu’ils font beaucoup de bien à la démocratie.

C’est quoi le rapport ? Eh bien c’est peut-être Alain qui l’établit le mieux, le philosophe Alain qu’aimait tant mon vieux professeur, Alain qui avait un côté moraliste un peu relou mais à qui on ne peut pas reprocher de ne pas avoir vu venir les maux de son époque. Alain qui écrivait : “Une bonne règle est de ne pas faire faire par d’autres ce qu’on aurait honte de faire soi-même”.

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