Des personnes manifestent contre la corruption devant la cour de justice fédérale, le 17 mars 2016 à Curitiba, au Brésil

Des personnes manifestent contre la corruption devant la cour de justice fédérale, le 17 mars 2016 à Curitiba, au Brésil

afp.com/Heuler Andrey

Le message semble sorti tout droit d'un western, mais à Curitiba, le cauchemar des hors-la-loi n'est pas un shérif à la gâchette facile, mais un juge impitoyable, élevé au rang de héros national.

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C'est dans cette ville d'un peu moins de 2 millions d'habitants que sévit Sergio Moro, le magistrat emblématique de l'opération "Lava Jato" ("Lavage rapide", ndlr), qui a déjà mis en examen 259 hommes politiques ou grands patrons impliqués dans le méga-scandale Petrobras.

L'enquête tentaculaire a dévoilé un vaste système de corruption autour du géant étatique pétrolier, impliquant les plus grands groupes de bâtiment et travaux publics du pays et des politiciens de tous bords.

Brasilia, capitale fédérale et centre du pouvoir du géant sud-américain, est à 1.300 km plus au nord, mais l'ampleur du scandale est telle que le destin politique du Brésil se joue de plus en plus à Curitiba.

Inculpé dans le cadre de cette affaire, l'ancien président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) a été interpellé brièvement le 4 mars 2016 à son domicile, pour un interrogatoire sur des soupçons de "corruption" et de "blanchiment d'argent".

A l'autre bout de l'échiquier politique, l'opération a provoqué la chute de l'ancien président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, puissant artisan de la destitution controversée de l'ex-présidente de gauche Dilma Rousseff en août, actuellement sous les verrous dans une prison près de Curitiba.

- 'Monument historique' -

"Ici, les gens sont révoltés par toute cette corruption. À chaque mandat d'arrêt émis ici contre des députés, des sénateurs, mon Dieu, pour nous c'est comme un fête!" vibre Daniela Varela, avocate de 29 ans, devant les bureaux du juge Moro.

Les sentences prononcées par ce magistrat ont aussi envoyé derrière les barreaux Marcelo Odebrecht, ancien PDG du premier groupe de BTP du pays, qui purge une condamnation de 19 ans de prison en première instance.

"Bientôt, cet endroit sera considéré comme un monument historique", prévoit Wanderley Santos, vendeur ambulant de 64 ans qui profite de ce buzz pour écouler des t-shirts à l'effigie du juge.

Capitale de l'État du Parana, Curitiba, ville fondée en 1693 et fortement influencée par l'immigration allemande du XIXe siècle, a été "rebaptisée" en tant que "République" en haut-lieu.

L'appellation vient d'une écoute téléphonique interceptée par l'opération Lava Jato d'une conversation entre Lula et Dilma Rousseff, qui lui a succédé à la tête du pays en 2011.

"Personnellement, je suis effrayé par cette République de Curitiba. À partir des décisions d'un juge de premier instance (Moro, ndlr), tout peut arriver dans ce pays", s'était inquiété l'ancien président en mars 2016, dans un extrait largement diffusé dans la presse.

- Héros discret -

Une phrase péjorative qui a fini par donner une nouvelle identité à la ville, où le terme "République" s'affiche partout, sur des t-shirts, des autocollants collés sur les voitures et toutes sortes de souvenirs vendus dans les boutiques locales.

"Le sud du Brésil est une région traditionnellement de droite et les membres du pouvoir judiciaire ont des liens avec le politique depuis toujours. Au Brésil, le pouvoir est héréditaire", analyse Ricardo Costa de Oliveira, sociologue de l'Université Fédérale du Parana.

"L'opération Lava Jato a fait chuter le gouvernement de Dilma Rousseff et veut maintenant mettre Lula sous les verrous", ajoute-il.

La ville respire au rythme des rebondissements du scandale et les bus touristiques ont inclus dans leurs parcours un passage devant les tribunaux où sont jugés les puissants. Mais le juge Moro, principale attraction de la ville, se fait plutôt discret.

"Un de mes collègues l'a pris un jour dans son taxi. Il n'était pas en costume et il cachait son visage derrière une casquette de baseball. Il n'a pratiquement pas parlé, mais je suis sûr que c'était lui", raconte un chauffeur local.

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